Date du fascicule : 4 Janvier 2012
Date de la dernière mise à jour : 29 Novembre 2013
Jean-Éric Gicquel - Agrégé des facultés de droit - Professeur à l'université de Rennes I
Mise à jour du 29/11/2013 - §17 et 18. - Projet de réforme des cumuls des mandats
Mise à jour du 29/11/2013 - §23 à 27. - Réforme du statut pénal des membres du gouvernement
Mise à jour du 29/11/2013 - §34. - Projet de révision autorisant une négociation sociale avant tout débat parlementaire
Mise à jour du 29/11/2013 - §45. - Obligations de transparence
Mise à jour du 29/11/2013 - Avertissement.
Note de la rédaction – Mise à jour du 29/11/2013 - Avertissement.
Fiche actualisée par Vincent Tchen, professeur de droit public à l'université du Havre.
La structure gouvernementale est variable selon les gouvernements (V. n° 6 à 13 ).
Le nombre important de ministères rend indispensable une coordination du travail interministériel (V. n° 14 à 28 ).
Tous les membres du Gouvernement ne sont pas ministres, il existe une hiérarchie interne (V.n° 29 à 42 ).
Les membres du Gouvernement sont soumis à un statut particulier dès leur entrée en fonction (V. n° 43 à 59 ). Ils bénéficient, par ailleurs, d'un régime favorable de responsabilité (V. n° 60 à 67 ).
Les membres du Gouvernement exercent des prérogatives individuellement et de manière collective (V. n° 68 à 86 ).
Le Premier ministre dispose de pouvoirs personnnels (V. n° 87 à 106 ).
1. – Place variable du Gouvernement dans les institutions – Le rappel des dates clés de la vie politique de Jacques Chirac permettra de mieux saisir la complexité et l'ambivalence des fonctions duPremier ministre, qui “dirige l'action du Gouvernement” (Const., art. 21).
Désigné chef du Gouvernement par Valéry Giscard d'Estaing en 1974, il subit au quotidien un interventionnisme présidentiel tatillon et exigeant, rabaissant sa fonction quasiment à celle de directeur de cabinet du chef de l'État. Estimant la situation invivable, il démissionne avec fracas en août 1976. Il revient à Matignon, en 1986, pour expérimenter la branche parlementaire de la Constitution de 1958 et ainsi se comporter et agir comme le Prime minister britannique ou le Bundeskanzler allemand. Il est alors, selon ses propres termes, un Premier ministre "heureux". Élu chef de l'État en 1995, sa dissolution malheureuse de l'Assemblée nationale en 1997 le conduira à passer l'essentiel de son premierseptennat à tenter de cantonner, sans succès, l'omniprésence du gouvernement Jospin.
Chacun sait qu'il faut aller au-delà du texte de la Constitution du 4 octobre 1958 pour en saisir la réalité quotidienne. Le Gouvernement est certes constitutionnellement dirigé par le Premier ministre mais n'en reste pas moins in fine mis à la disposition du Président de la République qui l'oriente, le sollicite et l'admoneste, au gré de ses impératifs politiques. En revanche, le Gouvernement échappe à cette mainmise présidentielle en période de cohabitation et exprime pleinement sa volonté propre.
2. – Logique présidentialiste – Si, conformément aux règles du régime parlementaire, le Gouvernement “détermine et conduit la politique de la Nation” (Const., art. 20) et est responsable de son action devant l'Assemblée nationale (Const., art. 49), le prisme présidentialiste de la Ve République a, dès 1958, infléchi ces mécanismes dans une logique différente. Disposant de prérogatives sans contreseing (Const., art. 19), jouissant d'une légitimité spécifique (charismatique et historique pour le Général de Gaulle ; populaire pour ses successeurs avec la révision de 1962 introduisant l'élection du chef de l'État au suffrage universel direct ("Sa circonscription, c'est la France" ; V. Giscard d'Estaing)), sollicitant de multiples ressources politiques, notamment par l'entremise du parti majoritaire, leprésident de la République est devenu la figure centrale de la Ve République.
3. – Logique parlementaire – Certes, les cohabitations (1986-1988 ; 1993-1995 et 1997-2002) ont, un temps, infléchi cette domination en replaçant le chef du Gouvernement, appuyé par "sa" majorité à l'Assemblée nationale, au centre de l'échiquier politique et institutionnel. Le centre de gravité du pouvoir quitte provisoirement l'Élysée pour rejoindre Matignon, mais pour mieux le retrouver dès l'alignement entre les majorités présidentielle et parlementaire rétabli. Finalement, dans une logique de long terme (c'est-à-dire, sur plus de cinquante années d'existence de l'actuelle république), ces périodes de cohabitation peuvent être assimilées à des accidents de parcours ne remettant pas en cause l'architecture générale du régime de la Ve République. Des secousses sismiques furent enregistrées mais il n'y eut point de mouvements tectoniques.
4. – Plan – Le présent fascicule entend traiter le Gouvernement sous un angle de droit administratif mais aussi de droit constitutionnel. Qu'est-ce à dire ? Que si la juridicité du premier ne fait pas de doute, celle du second a pu être mise en doute à une époque où la science politique dominait sans partage. Le droit constitutionnel, naguère enseigné et étudié comme "droit de l'autorité politique" (M. Prélot, Précis de droit constitutionnel : Dalloz, 1re éd., 1948, p. 19), est devenu en raison de l'évolution et l'amplification du rôle du Conseil constitutionnel, une discipline aussi pleinement juridique (notamment O. Beaud, Constitution et droit constitutionnel, in D. Alland, S. Rials (dir.), Dictionnaire de culture juridique : PUF, coll. "Quadrige", 2003, p. 257. – J. Chevallier, Droit constitutionnel et institutions politiques : les mésaventures d'un couple fusionnel, in Mélanges Avril : Montchrestien, 2001, p. 183). Selon une logique classique et éprouvée, il s'agira d'étudier l'organisation du Gouvernement (I) ainsi que ses attributions (II).
I. - Organisation du Gouvernement
5. – Liste des gouvernements – Entre 1958 et 2011, 18 Premiers ministres se sont succédés à Matignon ; un seul d'entre eux, Jacques Chirac, y séjournant à deux reprises. Pendant cette même période, on dénombre 34 gouvernements :
Pompidou (quatre Gouvernements) (1962-1968) ;
Couve de Murville (1968-1969) ;
Raffarin (trois) (2002-2005) ;
et Fillon (trois) (2007-2012).
Il est donc possible qu'un Premier ministre dirige plusieurs gouvernements (huit sur dix-huit en pratique). Juridiquement, il présentera sa démission (Const., art. 8-1) au chef de l'État qui le reconduira immédiatement dans ses fonctions (ibid.).
Ainsi, peut-on à titre d'illustration parler des gouvernements Fillon I, II et III.
Après avoir détaillé la structure gouvernementale (A), le statut personnel des ministres sera abordé (B).
A. - Composition du Gouvernement
6. – Le nombre important de ministères (1°) implique une coordination du travail interministériel (2°).
7. – Variabilité de l'effectif des gouvernements – La taille d'un Gouvernement n'est, en France, ni fixée par la Constitution ni par la loi. Le comité Balladur chargé, en 2007, de proposer des modifications à la Constitution au chef de l'État a préféré le statu quo en émettant cependant le souhait que le nombre de ministres de plein exercice soit limité à une quinzaine, celui de secrétaires d'État à une dizaine (Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République : 2007, p. 27).
8. – Droit comparé – La norme constitutionnelle est peu sollicitée à l'étranger (V. cependant l'article 99 de la Constitution belge du 11 février 1994 disposant que “le Conseil des ministres compte quinze membres au plus. Le Premier Ministre éventuellement excepté, le Conseil des ministres compte autant de ministres d'expression française que d'expression néerlandaise”). Il est plus fréquent que des limitations soient imposées par voie législative (notamment en Autriche et en Italie). Afin de limiter la fameuse osmose (W. Bagehot) entre le Parlement et le Gouvernement, le House of Commons disqualification Actde 1975 cantonne, en Grande-Bretagne, à 95 le nombre de députés pouvant être nommés ministres et secrétaires d'État (Sénat, Étude de législation comparée, La composition du gouvernement, n° 94, 2001).
9. – Évolution – De la Révolution française aux débuts de la Ve République, l'évolution du nombre de ministères resta lente (six ministres en 1791 ; une douzaine en 1914 ; plus d'une quinzaine dans les années 1950). La Ve République, marquée par un accroissement du rôle et des fonctions de l'État, constitue indéniablement une césure. Celle-ci n'est pas pour autant univoque puisque deux périodes sont à distinguer. D'abord, une crue continue entre 1958 (gouvernement Debré – 27 membres) et 1988 (gouvernement Rocard II et ses 48 membres). Ensuite, une décrue erratique est visible aussi bien dans les années 1990 (41 sous le gouvernement Bérégovoy en 1992), 29 (gouvernement Balladur en 1993), 42 (gouvernement Juppé I en 1995), 33 (gouvernement Juppé II en 1995) que 2000 : 29 membres en 2002 (gouvernement Raffarin I) et 41 en 2005 (gouvernement Raffarin III).
Ces données chiffrées sont, par ailleurs, délicates à utiliser en ce sens que l'effectif d'un gouvernement n'est pas fixé ne varietur en raison des ajustements et remaniements possibles à tout moment. La tendance est à l'embonpoint : tel le gouvernement Jospin, qui a débuté avec 26 membres en 1997 pour terminer, en 2002, avec 36.
10. – Exemple : le gouvernement Fillon III – Constitué en novembre 2010, il comprenait 2 ministres d'État, 13 ministres, 7 ministres délégués et 8 secrétaires d'État (D. 14 nov. 2010 : JO 16 nov. 2010, p. 20344 ). Si le premier remaniement du 27 février 2011 (un dommage collatéral du printemps arabe...) ne toucha que les titulaires de fonctions, le secrétariat d'État de la fonction publique fut supprimé en mai 2011 ; le ministère de tutelle récupérant les attributions. Le nouveau remaniement du 29 juin entraîna, outre les traditionnelles chaises musicales (qui réapparurent le 26 septembre), la transformation d'un secrétariat d'État en ministère délégué (transports) et la création de trois nouveaux secrétariats d'État (anciens combattants, famille, Français de l'étranger).
11. – Départements ministériels structurels et conjoncturels – Le nombre de ministres de plein exercice est grosso modo resté stable depuis 1958 (autour de dix-huit) ce qui montre que le seuil de quinze habituellement présenté, à l'instar des situations étrangères, comme le plus efficient pour le gouvernement d'un État moderne est, en réalité, généralement atteint (par exemple, par le gouvernement Fillon III, V. supra n° 10 ). Ce nombre quasiment incompressible correspond à la fois à l'exercice des fonctions régaliennes de l'État (Défense, Affaires étrangères, Intérieur, Économie et Justice [le seul dont l'existence est prévue par la Constitution : Const., art. 65]) et des autres missions de service public qui s'y sont ultérieurement greffées (notamment Éducation, Travail, Agriculture, Environnement).
La variable d'ajustement entre les différents gouvernements ne concerne donc pas l'effectif des ministres, qui reste finalement stable, mais ceux de ministres délégués (où le recours, avant 1981, était exceptionnel) et de secrétaires d'État (avec des pratiques variables selon les époques).
Il est alors possible de mieux prendre en compte les aspirations techniques et/ou politiques. Techniquement, on peut décider de confier à un membre d'un gouvernement la gestion d'un domaine dont le périmètre circonscrit ne requiert pas que l'intéressé soit nécessairement nommé ministre de plein exercice. Si l'on a tendance à penser que la demande sociétale crée l'offre ministérielle (Affaires européennes, Économie numérique, Cohésion sociale, Coopération, Transports), l'inverse est aussi vrai et l'imagination est alors illimitée : la réforme (1974) ; le temps libre (1983) ; les quartiers en difficulté (1995) ; les programmes immobiliers de la justice (2002) ; les Français de l'étranger (2010). Il est même possible d'attribuer des fonctions ministérielles sans les détailler précisément (présence en 1984 de secrétaires d'État auprès du ministre de la Défense et du ministre des Relations extérieures ; en 1988 d'un ministre délégué auprès du garde des Sceaux). Renaud Muselier, secrétaire d'État aux affaires étrangères, entre 2002 et 2005, résumera avec humour son partage d'attributions avec le ministre des Affaires étrangères : "De Villepin fait tout. Je fais le reste".
Au gré des desideratas politiques, le nombre de départements ministériels peut s'accroître ou s'infléchir facilement grâce à la souplesse que représentent les formules du ministère délégué et du secrétariat d'État. Partant de là, des combinaisons multiples sont envisageables.
12. – Exemple : le domaine de l'éducation nationale – Plusieurs variations ont été recensées entre 1981 et 1995. En 1981, un seul ministre est en charge de ce département. Il est ensuite assisté, en 1983, d'un secrétaire d'État (sans missions spécifiques) devenu, en 1984, chargé des universités. Un ministre délégué pour l'enseignement supérieur apparaît en 1986 ; un secrétaire d'État pour l'enseignement technique en 1988 ; un ministre de l'Enseignement supérieur de plein exercice en 1993. Enfin, en 1995, deux secrétaires d'État (enseignement supérieur et enseignement scolaire) assistent le ministre de l'Éducation nationale.
c) Fixation des attributions des membres du Gouvernement
13. – Répartition des attributions – La répartition des attributions entre les membres du Gouvernement relève du pouvoir réglementaire (Cons. const., 9 juill. 1969, déc. n° 69-56 L : Rec. Cons. const. 1969, p. 31). En application du décret n° 59-178 du 22 janvier 1959 signé par Michel Debré, elle est fixée par décrets du Président de la République délibérés en Conseils des ministres après avis du Conseil d'État. Dès janvier 1959, la tournure présidentialiste de la Ve République devient une réalité palpable en ce sens que "le Général de Gaulle n'admit pas que les ministres étant nommés par lui, ce fût une autre autorité que la sienne qui fixât leurs compétences et il demanda que les décrets de cette espèce fussent désormais soumis à sa signature" (G. de Courcel, Les rapports entre le Président de la République et le Premier ministre entre 1959 et 1962, in De Gaulle et ses Premiers ministres, Association française de science politique : Plon, 1990, p. 28). En revanche, les prérogatives d'un ministre délégué et d'un secrétaire d'État sont délimitées par décret simple du chef de l'État.
2° Coordination du travail interministériel
14. – Essentielle pour le bon fonctionnement au quotidien de la machine gouvernementale, la coordination du travail interministériel s'effectue aux niveaux politique et technique.
15. – Coordination politique assurée par le Premier ministre – Coordonner implique pour le Premierministre d'arbitrer, c'est-à-dire de trancher entre les différentes positions des ministres et donc au final de décider entre plusieurs prétentions aux contenus variables. Au-delà des conflits structurels où les ministres finissent parfois par se comporter comme les porte-paroles de leurs bureaux (Intérieur versusJustice ; Industrie ou Agriculture versus Environnement), la difficulté de la tâche du Premier ministre dépend, en grande partie, d'abord du nombre de départements ministériels (plus il est important et plus fréquentes sont les querelles de frontières nécessitant l'intervention de Matignon) et ensuite de la solidité des "attelages" constitués entre le ministre et son ou ses ministre(s) délégué(s) et / ou secrétaire(s) d'État soumis à son autorité (la tutelle exigeante de l'un entraînant d'inévitables rancœurs de l'autre). Ici, l'intervention du chef de l'État est rare et même contreproductive puisqu'elle démontre l'incapacité de son chef de gouvernement à assurer efficacement la coordination et fragilise sa posture (V. notamment les multiples manifestations de soutien de François Mitterrand à Édith Cresson entre 1991 et 1992 et Jacques Chirac à Jean-Pierre Raffarin entre 2002 et 2005).
De multiples paramètres politiques sont à prendre en compte pour le locataire de Matignon :
son poids au sein du parti dominant (par exemple, Alain Juppé, cumulant ses fonctions avec celles de secrétaire général du RPR entre 1995 et 1997 ou Lionel Jospin, leader officieux du PS entre 1997 et 2002 à comparer avec la faiblesse des réseaux politiques d'Édith Cresson [1991-1992] et de Jean-Pierre Raffarin [2002-2005]) ;
le nombre de rivaux guettant son remplacement et s'activant dans les médias et coulisses (Laurent Fabius, Pierre Bérégovoy, Jacques Delors pour la période 1981-1984 ; Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin pour celle de 2002-2005 ; Jean-Louis Borloo en 2010) ;
et surtout, l'état de ses relations avec le chef de l'État. Celles-ci, en isolant les cohabitations, oscillent entre la complicité (Jacques Chirac et Alain Juppé entre 1995 et 1997) et la profonde méfiance (Georges Pompidou et Jacques Chaban-Delmas entre 1969 et 1972 ; François Mitterrand et Michel Rocard entre 1988 et 1991) en passant par le mariage de raison (Nicolas Sarkozy et François Fillon entre 2007 et 2012).
16. – Les acteurs administratifs (1) coexistent avec des entités politico-administratives (2).
1) Acteurs administratifs de la coordination interministérielle
17. – Acteurs de premier rang – Coordination juridique assurée par le Conseil d'État. – Le Conseil d'État(V. Fasc. 1020 et 1071) est, d'abord, chargé de procéder à l'examen systématique des projets de loi(Const., art. 39), d'ordonnances (Const., art. 38 et 74-1) et de décrets importants (Const., art. 37, al. 2. –CJA, art. L. 112-1 ). Une coordination est assurée grâce à cette centralisation en amont de l'ensemble des textes gouvernementaux. Les risques de contradiction, de redites et de confusion sont considérablement réduits. Bref, "le passage par le Conseil d'État permet de prolonger le processus d'élaboration d'interministérialité et, le cas échéant, de remédier à ses insuffisances" (D. Labetoulle, La place du décret en Conseil d'État dans l'exercice du pouvoir gouvernemental, in Mélanges Costa : Dalloz, 2011, p. 359).
Afin de renforcer cet examen, des dispositions absentes d'un projet de loi soumis à l'avis du Conseil d'État ne peuvent être présentées au Conseil des ministres (Cons. const., 3 avr. 2003, déc. n° 2003-468 DC , Élections des conseils régionaux : Rec. Cons. const. 2003, p. 325). Dans la même logique, lorsqu'un décret doit être pris en Conseil d'État (ou "décret en Conseil d'État"), le texte retenu par le Gouvernement ne peut contenir des dispositions différant à la fois de son projet initial et du texte adopté par le Conseil d'État. Aucune règle ne l'oblige à communiquer les raisons qui pourraient, le cas échéant, le conduire à ne pas suivre l'avis (notamment CE, 3 sept. 2008, n° 299412, Conféd . praticiens des hôpitaux : JurisData n° 2008-074185 ) qui, en application de l'article 1er de la loi du 17 juillet 1978, n'est pas un document administratif communicable.
Ensuite, le Conseil d'État “peut être consulté par le Premier ministre ou les ministres sur les difficultés qui s'élèvent en matière administrative” (CJA, art. L. 112-2 ).
On pensera ici tout particulièrement à l'avis n° 346893 du 27 novembre 1989 relatif au port du voile à l'école ou encore à l'étude du 30 mars 2010 portant sur les possibilités juridiques d'interdiction du port du voile intégral.
Enfin, une coordination diffuse est assurée individuellement par les membres du Conseil d'État qui, en application de l'article R. 137-3 du Code de justice administrative , peuvent être appelés par les ministres pour apporter “leur concours aux travaux de leur administration”. Certains emplois prestigieux leur sont, de facto, réservés : secrétaire général de l'Élysée, secrétaire général du gouvernement, secrétaire général du Conseil constitutionnel, directeur de cabinet du Premier ministre et des ministres importants sans compter les fonctions éminentes dans les administrations centrales, établissements publics et autorités administratives indépendantes.
Note de la rédaction – Mise à jour du 29/11/2013
17 et 18 . - Projet de réforme des cumuls des mandats
Le projet de révision de la Constitution présenté en Conseil des ministres le 13 mars 2013 propose de mettre fin au cumul des membres du gouvernement avec une fonction exécutive locale. Cette règle codifie à l'article 23 de la Constitution une pratique plus ou moins respectée depuis 1997. Le ministre pourra toutefois cumuler sa fonction avec un mandat local. Ce projet prolonge les conclusions de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique qui, le 9 novembre 2012, avait également suggéré de renforcer les obligations déontologiques des ministres et des membres de leur cabinet (transmission d'une déclaration d'intérêt à une nouvelle autorité administrative indépendante, l'Autorité de déontologie de la vie publique ; encadrement de leur départ vers le secteur privé et certains organismes publics).
18. – Coordination technique assurée par le Secrétariat général du gouvernement (SGG). – Créé par le décret du 31 janvier 1935, le SGG, composé d'une centaine de personnes, occupe une place singulière au sein de l'administration d'État car il est à la fois "l'État-major juridique du Premier ministre" et le "greffier de la République" selon les propres termes de Jean-Marc Sauvé, secrétaire général entre 1995 et 2006. Les missions confiées au SGG sont multiples :
il participe à la formation du Gouvernement en veillant à l'absence d'enchevêtrement d'attributions entre les différents ministères et en s'assurant de la cohérence juridique des liens entre un ministre et son ministre délégué et/ou son secrétaire d'État. Par ailleurs, il prépare les projets de décrets de nomination, d'attributions et de délégation des membres du Gouvernement ;
il est chargé de toute l'organisation en amont de l'ensemble des délibérations gouvernementales (Conseils des ministres, conseils restreints – en liaison étroite avec le secrétaire général de l'Élysée –, comités interministériels, restreints, réunions interministérielles – V. infra n° 22 à 28 ) et de rédiger les comptes rendus (les "bleus") ;
il est la cheville ouvrière du processus normatif en convoyant les projets de lois, d'ordonnances et de décrets de la préparation à la publication. À ce dernier égard, lui est rattaché la Direction de l'information légale et administrative (DILA), établie par un décret du 11 janvier 2010 fusionnant les directions du Journal officiel et de la Documentation française (D. n° 2010-31 : JO 12 janv. 2010) ;
il assure une veille juridique en contrôlant tant au fond que sur la forme l'ensemble des textes nécessitant l'adoption finale du Conseil des ministres et se prononce juridiquement sur les nominations envisagées par le chef de l'État. Ex post, il présente les observations en défense du Gouvernement devant le Conseil constitutionnel.
(J. Fournier, Le travail gouvernemental : Presses de la FNSP, 1987. – J. Gicquel, Le programme de travail gouvernemental sous la Ve République, in Mélanges Loïc Philip : Economica, 2005, p. 99).
19. – Coordination européenne assurée par le Secrétariat général aux affaires européennes (SAGE). – Le SAGE (2005) a succédé au SGCI en 1948. Composé de 200 agents, il est chargé de coordonner la politique européenne de la France. En application d'un décret du 17 octobre 2005 (D. n° 2005-1283 : JO 18 oct. 2005, p. 16488 ), il instruit et prépare en amont les positions qui seront exprimées par la France pendant l'intégralité du processus normatif européen. À cet effet, il adresse des instructions aux agents chargés d'exprimer les positions de la France devant les différents organes intergouvernementaux de l'Union européenne (Comité des représentants permanents [Coreper], Conseil des ministres, Conseil européen). Par ailleurs, en liaison avec le SGG, il gère :
d'une part, la procédure de transmission des projets d'actes législatifs européens et les autres projets ou propositions d'actes de l'Union européenne au Parlement en application de l'article 88-4 de la Constitution ;
ainsi que, d'autre part, le suivi interministériel de la transposition des directives et des décisions-cadres. En dernier lieu, il assure le secrétariat du Comité interministériel sur l'Europe (V. infra n° 27).
20. – Acteurs de second rang – Apportant leur contribution à la coordination du travail interministériel dans leur propre secteur, d'autres organes interviennent selon des modalités variées (avis, études, rapports, expertises). S'en suit théoriquement une action plus cohérente des décideurs politiques.
21. – Coordination assurée par les Conseils, Centres et Hauts Conseils. – Peuvent, dans cette logique, être notamment cités :
les Conseils supérieurs de la fonction publique de l'État, territoriale et hospitalière sont impérativement consultés sur tout projet de loi ou de décret modifiant les dispositions des statuts de la fonction publique ;
le Centre d'analyse stratégique (D. n° 2006-260, 6 mars 2006 : JO 7 mars 2006, p. 3399 ) a remplacé le Commissariat général au Plan et assiste le Gouvernement dans la définition et la mise en œuvre de ses orientations en matière économique, sociale, environnementale et culturelle. Relèvent d'une logique similaire, le Conseil d'analyse économique (D. n° 97-766, 22 juill. 1997 : JO 23 juill. 1997, p. 11011 ), le Conseil d'analyse de la société (D. n° 2004-666, 8 juill. 2004 : JO 9 juill. 2004, p. 12401 ), le Conseil d'orientation des retraites (D. n° 2000-393, 10 mai 2000 : JO 11 mai 2000, p. 7056 ), le Conseil d'orientation pour l'emploi (D. n° 2005-326, 7 avr. 2005 : JO 8 avr. 2005, p. 6342 ), le Haut Conseil à l'intégration (D. n° 89-912, 19 déc. 1989 : JO 23 déc. 1989, p. 15978) et le Haut Conseil de la famille (D. n° 2008-1112, 30 oct. 2008 : JO 31 oct. 2008, p. 16594 ) ;
la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR. –D. n° 63-112, 14 févr. 1963 : JO 15 févr. 1963, p. 1531). Devenue la Délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires (D. n° 2005-1791, 31 déc. 2005 : JO 1er janv. 2006, p. 24 ), puis la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (D. n° 2009-1549, 14 déc. 2009 : JO 15 déc. 2009, p. 21584 ), elle aide l'État pour la mise en œuvre et la coordination des politiques d'aménagement du territoire. Elle est matériellement chargée de la préparation des Comités interministériels d'aménagement et de développement des territoires (CIADT. – V. infra n° 27 ) ;
enfin, dans le cadre de la politique de Révision générale des politiques publiques (RGPP) en place depuis 2007, le Conseil de modernisation des politiques publiques, présidé par le chef de l'État, fixe les orientations et définit les étapes de la réforme.
2) Acteurs politico-administratifs
22. – À la frontière des mondes politiques et administratifs, le Conseil des ministres, le Conseil restreint ou interministériel, le Comité restreint ou interministériel et la réunion interministérielle sont les lieux privilégiés de l'interministérialité.
23. – Conseil des ministres – Avec les Conseils et Comités supérieurs de la Défense nationale (Const., art. 15), le Conseil des ministres est la seule formation collégiale dont l'existence soit reconnue par la Constitution.
Il est toujours présidé par le chef de l'État (Const., art. 9) et peut être suppléé par le Premier ministre“en vertu d'une délégation expresse et pour un ordre du jour déterminé” (Const., art. 21). Cette procédure est tout à fait exceptionnelle (six occurrences sur 2 500 conseils : deux fois sous le Général de Gaulle, une sous Georges Pompidou, deux sous François Mitterrand et une sous Jacques Chirac) et a été toujours, sauf pour un cas, sollicitée en raison d'une hospitalisation du président.
Alors que sous les républiques précédentes, le chef de l'État convoquait le Conseil des ministres à la demande du président du conseil et selon l'ordre du jour fixé par ce dernier, il appartient, depuis 1958, au Président de la République d'en fixer le lieu (par tradition à l'Élysée), la périodicité (hebdomadaire – le mercredi, sauf exception), l'ordre du jour et la composition. En effet, le décret fixant la composition du Gouvernement peut indiquer expressément que les secrétaires d'État n'y sont pas conviés systématiquement mais y participent seulement “pour les affaires relevant de leurs attributions” (par exemple, les décrets du 7 novembre 1995 : Juppé II et du 4 juin 1997 : Jospin).
Note de la rédaction – Mise à jour du 29/11/2013
23 à 27 . - Réforme du statut pénal des membres du gouvernement
Reprenant la recommandation de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique rendue publique le 9 novembre 2012, le projet de révision de la Constitution présenté en Conseil des ministres le 13 mars 2013 met fin au privilège de juridiction dont bénéficient les membres du gouvernement. En vertu de ce privilège, ils ne peuvent être jugés pour les actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions que par la Cour de justice de la République. Or, cette juridiction est composée essentiellement de parlementaires. Le texte supprime en conséquence cette juridiction. Selon la nouvelle rédaction de l'article 68-1 de la Constitution, les ministres seraient jugés par les juridictions pénales de droit commun, y compris pour les actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions. Pour éviter les mises en causes abusives, la procédure sera aménagée. Les poursuites devront être autorisées par une commission des requêtes composée de trois magistrats du siège à la Cour de cassation, deux membres du Conseil d'État et deux magistrats de la Cour des comptes. Le jugement de ces affaires sera confié aux juridictions de Paris compétentes, composées d'au moins trois juges.
24. – Ordre du jour du Conseil des ministres – Proposé par le Premier ministre, mis en forme par les secrétaires généraux de l'Élysée et du gouvernement le vendredi précédant le Conseil des ministres, l'ordre du jour comprend trois parties (s'articulant autour d'une double dimension, "l'administration des choses" et "le gouvernement des hommes" Jacques Chapsal).
La partie A est consacrée à la délibération des projets de loi (Const., art. 39), des ordonnances (Const., art. 38 et 74-1) et des décrets nécessitant l'intervention du Conseil des ministres (Const., art. 13). Les difficultés politiques et techniques ayant été abordées et tranchées en amont, l'adoption s'effectue par consensus, généralement sans discussion. De manière remarquée, Jacques Chirac avait, en 2001, décidé in extremis de retirer de l'ordre du jour un projet de loi relatif à la Corse avant de se raviser la semaine suivante.
La partie B concerne les mesures individuelles, c'est-à-dire la nomination des hauts fonctionnaires et officiers généraux (en application combinée de l'article 13 de la Constitution, de l'ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 et du décret n° 59-587 du 29 avril 1959) et les changements d'affectation pour les emplois à la discrétion du Gouvernement (préfets, recteurs, ambassadeurs notamment).
La partie C est réservée à des communications du Premier ministre (telle celle relative au plan d'équilibre des finances publiques en novembre 2011), du ministre des Affaires étrangères ou de tel ou tel membre présentant succinctement un avant-projet de réforme.
Une nouvelle pratique a vu le jour, sous la présidence Sarkozy, avec une partie D consacrée à un débat ouvert à tous. À l'issue du Conseil, le service de presse de l'Élysée diffuse un communiqué (préparé avant même la réunion).
25. – Attributions du Conseil des ministres – Ses attributions sont au final variées puisqu'on relève six articles de la Constitution rendant obligatoire l'intervention du Conseil des ministres. Outre celles prévues aux articles 39, 38 et 13 de la Constitution, sont aussi concernés :
l'engagement de la responsabilité du Gouvernement (Const., art. 49) ;
la déclaration de l'état de siège (Const., art. 36) ;
la prise d'ordonnances pour les collectivités d'outre-mer (Const., art. 74-1).
"Lieu d'impulsion et de conclusion du travail gouvernemental sous la direction effective du chef de l'État"(J.-M. Sauvé, Le Conseil des ministres, in Mélanges Gicquel : Montchrestien, 2008, p. 500), les délibérations en Conseil des ministres (insusceptibles d'un recours pour excès de pouvoir, CE, 25 nov. 1977, Cie des architectes : Rec. CE 1977, p. 463) s'apprécient à l'aune de la dérive présidentialiste du régime de la Ve République. Le Général de Gaulle relate que "chacun peut demander la parole ; elle lui est toujours donnée. Dans les cas les plus importants, j'invite tous les membres à faire connaître leur avis (...). En fin de compte, j'indique quelle est ma manière de voir et je formule la conclusion. Après quoi, le relevé des décisions est arrêté par moi-même" (Mémoires d'espoir, in Mémoires : La Pléiade, Gallimard, 2000, p. 1119).
Sous les cohabitations, cette dimension purement formelle et protocolaire éventuellement accompagnée d'une ambiance glaciale s'amplifie ; le Premier ministre prenant soin de réunir à Matignon ses ministres hors de la présence du chef de l'État afin de présenter plus tard un front uni devant lui. Les antiques conseils de cabinet des Républiques précédentes (qui, selon Joseph-Barthélémy, avaient deux différences avec les Conseils des ministres : l'absence du Président de la République et la possibilité de... fumer) ont alors refleuri sous les appellations variées de "comité interministériel plénier", de "réunion de ministres", de "séminaire ou réunion gouvernemental(e)" (B. Dorinet, Le Conseil des ministres en France : Thèse Paris I, 2005. – J.-M. Sauvé, Le Conseil des ministres, in Mélanges Gicquel : Montchrestien, 2008, p. 497).
26. – Conseil restreint ou interministériel – Le Conseil restreint est convoqué par le chef de l'État qui choisit discrétionnairement le lieu (l'Élysée) la composition (quelques membres du Gouvernement, y compris le Premier ministre, éventuellement accompagnés de hauts fonctionnaires civils et militaires) et l'ordre du jour. Selon les différents chefs de l'État, des pratiques variables ont vu le jour (la formule ayant été moins sollicitée à partir de 1981).
Le Conseil interministériel est une formule plus adaptée pour les conseils dotés d'une permanence. Hormis les comités des affaires algériennes en 1960, des affaires étrangères, des affaires africaines et malgaches en 1961 institués par le Général de Gaulle, mentionnons :
les Conseils et comités supérieurs de la Défense nationale (Const., art. 15). À cet égard, le Conseil de défense et de sécurité nationale, institué par un décret du 24 décembre 2009 (D. n° 2009-1657 : JO 29 déc. 2009, p. 22561 ), fixe les orientations et les priorités “en matière de programmation militaire, de dissuasion, de conduite des opérations extérieures, de planification des réponses aux crises majeures, de renseignement, de sécurité économique et énergétique, de programmation de sécurité intérieure concourant à la sécurité nationale et de lutte contre le terrorisme”(C. défense, art. R. 1122-1) ;
le Conseil de la politique nucléaire (D. n° 2008-378, 21 avr. 2008 : JO 23 avr. 2008).
Au surplus, le Chef de l'État peut toujours réunir auprès de lui sa garde resserrée dans un conseil politique destiné à donner une nouvelle impulsion à l'action gouvernementale. On relèvera ainsi la création d'un "G7" regroupant, entre 2008 et 2009, sept ministres hors la présence du Premier ministre, ou celle d'un véritable conseil de guerre réunissant régulièrement, depuis octobre 2011, notamment François Fillon, Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin, dans la perspective des échéances électorales de 2012.
27. – Comité restreint ou interministériel – La fonction de coordination est, cette fois-ci, assurée par le Premier ministre qui réunit, à Matignon, les ministres et les hauts fonctionnaires sur un ordre du jour précis.
Le comité interministériel (on en dénombre une cinquantaine) est un organe permanent dont la composition, la périodicité de réunion, l'organisation est prévue par voie décrétale. Citons notamment les Comités interministériels d'aménagement et de développement des territoires (CIADT) ; sur l'Europe, des villes, de la mer, du handicap ; de la dépendance. Deux seulement sont dotés d'un secrétariat général nommé sur un emploi à temps plein (comité interministériel du contrôle de l'immigration et comité interministériel de prévention de la délinquance).
Le comité restreint est, en revanche, une formule plus souple ; il se réunit sur un objet déterminé mais sans aucune régularité. En période de cohabitation, il peut même regrouper l'ensemble des ministres hors de la présence du chef de l'État.
28. – Réunion interministérielle – Haut lieu de la technocratie, la réunion interministérielle regroupe, sous la présidence d'un membre du cabinet du Premier ministre, des membres des cabinets des ministres et/ou des représentants des directions d'administration centrale concernés par l'affaire inscrite à l'ordre du jour. En pratique, il s'agit de l'organe de coordination le plus fréquemment utilisé (1 635 réunions organisées en 2006 à comparer avec la quarantaine de Conseils des ministres, vingt-quatre réunions de comités interministériels et vingt réunions de ministres, conseils ou comités restreints). En isolant les dysfonctionnements récurrents (délais de convocation trop brefs, effectif inadapté, réunions davantage propices à la discussion qu'à la prise de décision) pointés du doigt par la mission d'audit de modernisation (Conseil d'État et Inspection générale des finances, Rapp. sur la coordination du travail interministériel, 2007 : www.audits. performance-publique.gouv.fr/ bib_res/822.pdf), l'augmentation de la fréquence des réunions interministérielles (140 seulement en 1960), témoigne de la montée en puissance de Matignon au détriment des administrations centrales et surtout d'une coordination finissant par échapper de plus en plus aux acteurs politiques. Pourtant l'affaire du sang contaminé a dramatiquement démontré "l'anomalie de ce mode de fonctionnement de l'État qui substitue une techno-structure sans légitimité politique ni juridique aux véritables responsables que sont les ministres" (J.-F. Burgelin, R. Lucas, Extraits choisis des réquisitions du ministère public : RDP 1999, p. 376). Malgré ce constat sans appel, les changements se font toujours attendre.
3° Hiérarchie interne au sein du Gouvernement
29. – Le vocable "membre du Gouvernement" n'est pas synonyme de "ministre". Il existe, en effet, une différenciation dont les modalités ne sont prévues ni dans la Constitution, ni dans un texte législatif. Le décret du chef de l'État (Const., art. 8, al. 2), contresigné par le Premier ministre, en fixant la composition du Gouvernement établit, en même temps, sa hiérarchie interne. Relevons que ledit décret, considéré comme un acte de gouvernement au sens du droit administratif, ne peut faire l'objet d'une contestation contentieuse (CE, 7 avr. 2008, n° 314820, Hoffer ).
30. – Ministre d'État – Le titre remonte à l'Ancien régime. Sous les IIIe et IVe Républiques, le ministre d'État était généralement dépourvu d'attributions ministérielles. En d'autres termes, sa présence symbolisait avant tout une caution apportée par un parti et n'incluait pas une intervention active dans les affaires du pays (principe du "soutien sans participation"). Le premier Gouvernement de la Ve République reste dans ce cadre de référence (en janvier 1959, il compte trois ministres d'État sans attributions ministérielles) puis la rupture se fait. Un ministre d'État est à la tête d'un département ministériel fréquemment de grande importance (Économie et finances : Édouard Balladur en 1986 ; Intérieur : Nicolas Sarkozy en 2005 ; Défense : Alain Juppé en 2010) même si des exceptions sont visibles (Culture : André Malraux en 1959 ; Plan : Michel Rocard en 1981).
En réalité, on honore plus l'homme que le département ministériel. Pour des raisons purement politiques, le Chef de l'État, sur proposition du Premier ministre, peut souhaiter singulariser certains membres du Gouvernement afin de garantir un équilibre au sein de la majorité traversée par plusieurs tendances (gouvernement Mauroy en 1981 et gouvernement Balladur en 1993) ou de distinguer une personnalité (Édouard Balladur en 1986, Nicolas Sarkozy en 2005, Jean-Louis Borloo en 2007, Alain Juppé en 2010). Relevant d'une logique purement discrétionnaire, la présence de ministre(s) d'État n'est en rien obligatoire (absence dans le gouvernement Juppé : 1995, gouvernement Jospin : 1997 et gouvernement Raffarin : entre 2002 et 2004).
31. – Ministre – C'est la dénomination ordinaire et donc la plus courante. S'ils sont théoriquement mis sur un pied d'égalité car bénéficiant des mêmes privilèges juridiques et administratifs (V. infra n° 69 à 86), plusieurs critères de différenciation existent.
32. – Différence protocolaire entre ministres – Protocolairement, le décret de nomination fixe un rang de préséance entre les ministres. En indiquant les priorités d'action politique du Gouvernement, il établit une hiérarchie implicite avec la présence des "n° 2", "n° 3" du Gouvernement (respectivement, Nicolas Sarkozy : Intérieur et François Fillon : Affaires sociales dans le gouvernement Raffarin II. – D. 17 juin 2002 ).
Cet ordre de préséance implique aussi des responsabilités spécifiques en cas de crise. À cet égard, l'article L. 1111-4 du Code de la défense , complétant les dispositions de l'article 7 de la Constitution relatives à l'intérim du Chef de l'État, dispose que “dans le cas d'événements interrompant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et entraînant la vacance simultanée de la présidence de la République, de la présidence du Sénat et des fonctions de Premier ministre, la responsabilité et les pouvoirs de défense sont automatiquement et successivement dévolus au ministre de la Défense et, à défaut, aux autres ministres dans l'ordre indiqué par le décret portant composition du Gouvernement”.
33. – Différences administratives entre ministres – Administrativement, il convient, d'abord, de mettre en exergue la place particulière occupée par le ministre de l'Économie et des Finances qui continue, sous la supervision finale du Premier ministre et du Chef de l'État, de détenir les "cordons de la bourse" face aux autres membres du Gouvernement perçus comme de simples "ministres-dépensiers". L'article 38 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances dispose, à cet effet que “sous l'autorité du Premier ministre, le ministre chargé des finances prépare les projets de loi de finances, qui sont délibérés en Conseil des ministres” (L. n° 2001-692 : JO 2 août 2001, p. 12480 ).
En sus, un nombre variable des ministres délégués et de secrétaires d'État lui sont généralement rattachés, ce qui renforce son statut de super-ministre.
Ainsi, Pierre Bérégovoy en 1992 avec quatre ministres délégués et un secrétaire d'État a-t-il pu agir tel un véritable vice-Premier ministre menant sa propre politique (ou plus précisément celle de son administration). Or, "il est important que le Premier ministre ait un ministre de l'Économie et des Finances en qui il ait confiance et qui applique ses grandes orientations politiques" (A. Juppé, in R. Bacqué, L'enfer de Matignon : Albin Michel, 2008, p. 70).
En rappelant l'instabilité des titulaires de cette fonction (onze changements entre 1995 et 2007 – Christine Lagarde ayant réussi à rester en fonction quatre années : 2007-2011) qui a eu pour effet de renforcer considérablement l'influence des différentes directions, divers montages ont été imaginés afin de cantonner la toute puissance de la citadelle de Bercy :
le Premier ministre peut décider d'exercer, en sus de ses attributions, les fonctions de ministre de l'Économie (Raymond Barre entre 1976 et 1978 comme le firent naguère Poincaré et Pinay et comme Jacques Delors l'exigea, en vain, en 1983 lorsqu'il était pressenti pour succéder à Pierre Mauroy) ;
un découpage de compétences est effectué avec la présence d'un ministre de plein exercice (et non plus d'un ministre délégué ou d'un secrétaire d'État) chargé du budget et des comptes publics (comme ce fut notamment le cas dans les gouvernements Fillon 2007-2012).
Par ailleurs, un ministre peut se distinguer de ses collègues par la présence, auprès de lui, de ministre(s) délégué(s) et/ou de secrétaire(s) d'État. Ainsi, dans le gouvernement Raffarin II (2002), furent rattachés au ministre des Affaires sociales (François Fillon) : deux ministres délégués à la ville et à la rénovation urbaine ; à la parité et à l'égalité professionnelle ainsi que deux secrétaires d'État à la lutte contre la précarité et l'exclusion, aux personnes âgées.
34. – Différences institutionnelles entre ministres – Les ministres de la Défense et des Affaires étrangères, compte tenu de la prééminence du Chef de l'État dans ces deux domaines (dits "réservés") ne s'en remettent pas à l'arbitrage du Premier ministre et en référent directement à l'Élysée. Ce particularisme a été établi par le Général de Gaulle et toujours maintenu par ses successeurs (par exemple, la cogestion par Jacques Chirac et Dominique de Villepin de la non-intervention de la France en Irak en 2003 ou l'engagement en Afghanistan piloté, depuis 2007, directement de l'Élysée) avec d'inévitables perturbations sous les cohabitations. L'approche est similaire pour le garde des Sceaux qui, aux côtés du Conseil supérieur de la magistrature, assiste au quotidien le Président de la République dans ses fonctions de garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire (Const., art. 64).
Note de la rédaction – Mise à jour du 29/11/2013
34 . - Projet de révision autorisant une négociation sociale avant tout débat parlementaire
Le projet de révision de la Constitution présenté en Conseil des ministres le 13 mars 2013 crée dans la Constitution un nouveau titre consacré au dialogue social préalable à la loi. En s'inspirant du mécanisme introduit à l'article L. 1 du Code du travail par la loi du 31 janvier 2007, le projet dispose que les organisations syndicales représentatives de salariés et d'employeurs seront désormais mises en mesure de négocier préalablement à l'adoption de tout projet de loi ou d'ordonnance ou de toute proposition de loi portant réforme en matière de droit du travail, d'emploi ou de formation professionnelle. Le projet de loi ou d'ordonnance ne pourra être délibéré en Conseil des ministres et la proposition de loi être inscrite à l'ordre du jour d'une assemblée qu'au terme de cette procédure. Seule une situation d'urgence pourra justifier de ne pas suivre cette procédure. Le projet ne définit pas un domaine réservé aux partenaires sociaux pour élaborer directement la norme. Le législateur garde donc ses prérogatives institutionnelles d'auteur de la loi. Mais il tiendra compte et se nourrira des accords nationaux interprofessionnels signés.
35. – Différences politiques entre ministres – Politiquement, des relations privilégiées renforcées par une tonalité personnelle, permettent à tel ou tel ministre de solliciter directement l'arbitrage présidentiel (Jack Lang sous François Mitterrand), de proposer des alternatives aux mesures prônées par le Premierministre (les "visiteurs du soir" entre 1982 et 1983 à propos de la sortie du franc du système monétaire européen) ou (tenter) de se faire le porte-parole du chef de l'État (Brice Hortefeux sous Nicolas Sarkozy).
36. – Ministre délégué – Il a pour fonction d'assister un membre du Gouvernement. Plusieurs variétés sont à distinguer.
37. – Ministre délégué auprès du Premier ministre – Le ministre peut être délégué auprès duPremier ministre (en application de l'article 21 de la Constitution qui dispose que ce dernier peut“déléguer certains de ses pouvoirs aux ministres”). Cette formule, apparue dès 1958, permet de délester le chef du Gouvernement d'une série d'attributions. La pratique est des plus variables (aucun dans le gouvernement Jospin : 1997) mais on y trouve souvent un ministre (ou un secrétaire d'État) chargé des relations avec le Parlement qui gère notamment le partage de l'ordre du jour des chambres (Const., art. 48).
38. – Ministre délégué auprès d'un ministre – À partir de 1981, la formule a été étendue et des ministres peuvent aussi être délégués auprès d'un ministre. La pratique est, une nouvelle fois, oscillante d'un gouvernement à l'autre :
six, dans le gouvernement Balladur (1993) ;
deux, dans le gouvernement Juppé I (1995) ;
onze, dans le gouvernement Juppé II (1995) ;
deux, dans le gouvernement Jospin (1997) ;
aucun, dans le gouvernement Fillon II (2007) ;
sept, dans le gouvernement Fillon III (2010).
Le terme "délégué" n'est actuellement plus sollicité et le ministre est protocolairement placé "auprès" d'un autre.
39. – Illustrations – On trouve fréquemment :
un ministre chargé des affaires européennes délégué auprès du ministre des Affaires étrangères ;
un ministre pour l'enseignement supérieur pour le ministre de l'Éducation nationale ;
un ministre chargé du budget pour le ministre de l'Économie.
À cette nécessité technique de division optimale du travail gouvernemental peut se superposer la volonté politique d'offrir un portefeuille ministériel qui prime sur toute autre considération (tel un ministre délégué auprès du garde des Sceaux, en 1988). De manière tout à fait exceptionnelle, on a pu rencontrer des ministres délégués autonomes (Jack Lang, ministre délégué à la culture, entre 1983 et 1984). Cette curiosité juridique était liée à la volonté de conférer un titre ministériel sans pour autant permettre l'accès au Conseil des ministres.
40. – Régime juridique du ministre délégué – Les ministres délégués sont soumis à la tutelle de leur ministre de rattachement qui leur adresse des instructions. Ils reçoivent une délégation pour signer, en son nom, tous actes, arrêtés et décisions, dans la limite des compétences qui lui ont été déléguées par décret. Ils contresignent conjointement avec le ministre les décrets relevant de leurs attributions. Pour agir, ils disposent, en tant que de besoin, des directions et services énumérés dans le décret (tandis que le ministre de plein exercice a "autorité" sur eux). Cela signifie qu'ils ne bénéficient pas, à leur encontre, du pouvoir hiérarchique (pas de pouvoir de nomination, de sanction ou d'avancement). Ils peuvent seulement solliciter ces directions et services qui sont tenus de répondre à leurs demandes (formulées, en pratique, par le cabinet) mais qui répondent, in fine, du ministre de tutelle. On l'a compris, la coexistence peut, au quotidien, être plus ou moins harmonieuse à l'instar des relations entre le ministre et le secrétaire d'État.
41. – Secrétaire d'État – Le secrétariat d'État est, en théorie, un lieu d'apprentissage du pouvoir. Placé à la tête d'un département ministériel de seconde importance (tourisme, anciens combattants, outre-mer, personnes handicapées, précarité, réforme de l'État) sous l'autorité du Premier ministre ou d'un ministre, le secrétaire d'État fourbit ses premières armes en se familiarisant avec les techniques et instruments administratifs avant d'être nommé ultérieurement ministre délégué ou ministre de plein exercice. Cette logique ascendante n'est pas pleinement respectée :
d'abord, parce que la présence des secrétaires d'État n'est pas obligatoire (aucun dans les gouvernements Balladur de 1993 et de Villepin en 2005) ;
ensuite, les exceptions sont trop nombreuses et ne confirment donc pas la règle comme l'adage le proclame.
D'un côté, des personnes dénuées d'expérience ministérielle peuvent être placées immédiatement à la tête d'un département important (Intérieur : Jean-Louis Debré en 1995 ; Affaires étrangères : Hubert Védrine en 1997 et Dominique de Villepin en 2002) ; de l'autre, certains peuvent redevenir secrétaire d'État après un passage ministériel de plein exercice (Bernard Kouchner, secrétaire d'État à la santé entre 1988 et 1992, puis ministre entre 1992 et 1993 et de nouveau secrétaire d'État entre 1997 et 2001).
42. – Régime juridique du secrétaire d'État – Juridiquement, le secrétaire d'État est placé dans une situation de contrôle et de dépendance vis-à-vis de son ministre de tutelle. Dans la limite des attributions qui lui sont déléguées, le secrétaire d'État reçoit délégation du ministre pour signer, en son nom, tous actes, arrêtés et décisions. Il contresigne, conjointement avec le ministre les décrets relevant de ces attributions. Pour agir, il dispose, en tant que de besoin, des directions et services énumérés dans le décret. Selon une jurisprudence classique, le secrétaire d'État est placé sous l'autorité d'un ministre et n'exerce ses attributions que par délégation de celui-ci. En conséquence, il n'a pas qualité de ministre au sens de l'article 22 de la Constitution pour contresigner les décrets du Premier ministre (CE, 12 juin 1998, n° 188737 et n° 188738, Féd . aveugles et handicapés visuels de France : JurisData n° 1998-050440 ; Rec. CE 1998, p. 223. – CE, 11 juill. 2001, n° 224586, Medef : JurisData n° 2001-063078 ; Rec. CE 2001, p. 363).
Enfin, comme il l'a été abordé (V. supra n° 23 ), la participation des secrétaires d'État au Conseil des ministres est mouvante selon les gouvernements. Tantôt, leur présence est systématique, tantôt ils n'y siègent que si une affaire relevant de leurs attributions y est inscrite à l'ordre du jour.
Pour terminer, des curiosités juridiques sont parfois visibles. Ici, un secrétaire d'État autonome en 1974, là un Haut-commissaire aux solidarités actives en 2007 qui participait au Conseil des ministres pour les affaires relevant de ses attributions.
B. - Statut personnel des membres du Gouvernement
43. – L'examen du statut personnel du ministre implique d'aborder l'entrée en fonctions (1°), les règles d'incompatibilité (2°) et la cessation de fonctions (3°). Enfin, son régime de responsabilité (4°) sera examiné.
44. – Critères politiques dans le choix des membres du Gouvernement – L'article 8, alinéa 2 de la Constitution dispose que, sur proposition du Premier ministre, le Chef de l'État nomme les membres du Gouvernement. Cette décision prend effet immédiatement (Cons. const., 6 sept. 2000, Hauchemaille 3 : Rec. Cons. const. 2000, p. 140).
Chacun le sait, hormis les périodes de cohabitation, la pratique présidentialiste en vigueur depuis janvier 1959 établit que le Président de la République place, en réalité, son Premier ministre devant le fait accompli pour un nombre conséquent de portefeuilles "J'ai demandé à N. Sarkozy de devenir le ministre de l'Intérieur. Il a accepté" (J. Chirac, 2005. – V. les différents témoignages des premiersministres in R. Bacqué, L'enfer de Matignon : Albin Michel, 2008, p. 53-64).
Le choix de telle ou telle personne pour tel ou tel poste relève d'une pure appréciation discrétionnaire où les aptitudes politiques et partisanes priment l'expérience professionnelle. Si le cursus honorum des IIIe et IVe République (qui s'inscrivait dans une perspective ascendante où l'accession à la fonction ministérielle impliquait un investissement sur le terrain se traduisant par la détention préalable d'un mandat local, puis national) s'est maintenu sous la Ve République (Nicolas Sarkozy, François Fillon, en 1993 ; Dominique Strauss-Kahn, en 1991), une voie d'accès technocratique est apparue où l'on devient ministre par le haut (via le passage préalable en cabinet ministériel ou auprès du chef de l'État : Elisabeth Guigou et Ségolène Royal, en 1992 ; Valérie Pécresse et Bruno le Maire, en 2007) avant de chercher une implantation locale. Enfin, la féminisation du personnel gouvernemental peut être un objectif recherché (voir les compositions initiales des gouvernements Juppé I, Jospin et Fillon I et II) même si, au gré des changements et remaniements, la part des femmes a tendance à décroître irrésistiblement.
45. – Obligations de transparence – En application de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 (JO 12 mars 1988, p. 3290), tout membre du Gouvernement doit, dans les deux mois suivant sa nomination, adresser à la Commission pour la transparence financière de la vie politique, une déclaration de situation patrimoniale, c'est-à-dire “une déclaration certifiée sur l'honneur exacte et sincère de sa situation patrimoniale concernant notamment la totalité de ses biens propres ainsi que, éventuellement, ceux de la communauté ou les biens réputés indivis” (C. élect., art. LO 135-1 ). Cette déclaration est à renouveler dans les deux mois suivant la cessation des fonctions.
Par ailleurs, en prolongement d'un rapport pour la prévention des conflits d'intérêt remis en janvier 2011, et dans l'attente de l'adoption d'une loi fixant les principes déontologiques des décideurs publics, le Premier ministre astreint depuis mars 2011 (V. la lettre en ce sens in www.gouvernement.fr) les membres du Gouvernement (et de leurs cabinets) a établir une déclaration d'intérêts, indiquant notamment les responsabilités exercées en sus, les instruments financiers détenus, afin de s'assurer que les décisions soient prises avec la plus grande objectivité possible.
Le décret n° 2002-1058 du 6 août 2002 (JO 8 août 2002, p. 13600 ) a établi davantage de transparence qu'auparavant (pratique des fonds spéciaux). Le traitement brut mensuel des membres du Gouvernement est égal au double de la moyenne du traitement le plus élevé et du traitement le plus bas perçu par les fonctionnaires occupant des emplois de l'État classés dans la catégorie "hors échelle" et pour les secrétaires d'État, il est égal à 1,9 fois cette même moyenne.
Note de la rédaction – Mise à jour du 29/11/2013
45 . - Obligations de transparence
L'article 4 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique (JO 12 oct. 2013, p. 16829 ) impose aux membres du Gouvernement d'adresser une déclaration d'intérêt et de patrimoine dans les deux mois qui suivent leur nomination au président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (constatant que l'obligation de dépôt est justifiée par un motif d'intérêt général, Cons. const., 9 oct. 2013, déc. n° 2013-676 DC, consid. 14). Cette nouvelle autorité administrative indépendante succède à la Commission pour la transparence financière de la vie politique. La déclaration de situation patrimoniale est tenue d'être « exhaustive, exacte et sincère » (sur les limites tenant à la vie privée, Cons. const., 9 oct. 2013, déc. n° 2013-676 DC, consid . 20. –Cons. const., 9 oct. 2013, déc. n° 2013-675 DC, consid . 29, impossibilité de déclarer les activités professionnelles exercées par les enfants et les parents). La déclaration des intérêts porte sur les cinq années précédentes (activités professionnelles de l'intéressé et du conjoint, activités de consultant, participations aux organes dirigeants d'un organisme public ou privé ou d'une société, participations financières dans le capital d'une société, fonctions bénévoles susceptibles de faire naître un conflit d'intérêts, fonctions et mandats électifs). La déclaration d'intérêt est également transmise au Premier ministre. Toute modification de situation intervenant durant l'exercice des fonctions doit être signalée dans le mois. Ce cadre de compétence n'a pas été jugé contraire au principe de séparation des fonctions gouvernementales et parlementaires dès lors qu'il n'habilite pas la Haute Autorité à instituer des règles d'incompatibilité qui ne seraient pas prévues par la loi (Cons. const., 9 oct. 2013, déc. n° 2013-676 DC, consid . 62).
46. – Une fois nommé, le ministre est soumis à un régime d'incompatibilité. Le cumul de fonctions étant exclu, il doit opter pour l'une ou l'autre.
a) Avec des activités professionnelles
47. – Incompatibilités avec les activités professionnelles – Pour mettre fin à des dérives constatées principalement sous la IIIe République (où les ministres pouvaient continuer de plaider comme avocat) l'article 23 de la Constitution indique que les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l'exercice “de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle”. La loi ne peut rajouter une incompatibilité n'entrant dans aucune de ces catégories de fonctions (Cons. const., 30 août 1984, déc. n° 84-177 DC , Statut de la Polynésie française : Rec. Cons. const. 1984, p. 66. – Cons. const., 30 août 1984, déc. n° 84-178 DC , Nouvelle-Calédonie : Rec. Cons. const. 1984, p. 69)
Si le fonctionnaire a seulement besoin d'être placé en position de détachement pour exercer des fonctions ministérielles, la situation est plus délicate pour les salariés de droit privé. En pratique, cette règle a de moins en moins l'occasion d'être sollicitée puisque le recours à des personnalités extérieures au Parlement (des "techniciens" aux membres de la "société civile") visible aux débuts de la Ve République est devenu exceptionnel. Le membre du Gouvernement non issu du sérail parlementaire est d'autant plus une anomalie que son manque d'expérience du monde politique le dessert au quotidien et l'isole de ses autres collègues. Les déconvenues, incompréhensions et maladresses ne se font pas attendre (Francis Mer et Luc Ferry dans les gouvernements Raffarin ; Rama Yade, Fadela Amara et Rachida Dati dans les gouvernements Fillon) et leurs aventures ministérielles tournent généralement court.
b) Avec une fonction publique élective
1) Interdiction de cumul avec le mandat parlementaire
48. – Incompatibilités avec l'exercice d'un mandat parlementaire – Ici réside une innovation majeure de la Constitution de 1958 . Décidé à briser le lien entre le Parlement et le Gouvernement, afin d'éviter que le "régime exclusif des partis" ne finisse par imposer sa domination comme c'était le cas sous les républiques précédentes, le Général de Gaulle imposa l'incompatibilité de la fonction de membre du Gouvernement avec “l'exercice de tout mandat parlementaire” (Const., art. 23).
Une fois nommé ministre, le parlementaire (ou le ministre une fois (ré)élu parlementaire) dispose d'un mois pour se prononcer. Les refus sont rares (voir les départs des cinq ministres MRP en 1962 pour protester contre les conceptions européennes du Général de Gaulle fustigeant les amateurs de "quelques esperanto ou volapük intégrés"). Momentanément parlementaire et ministre, il ne peut prendre part à aucun scrutin public au Parlement. Reste qu'une fois dans le Gouvernement, il conservera une attention particulière pour "son" ancienne circonscription, se considérant toujours comme le véritable élu. Il est de tradition que le chef de cabinet, s'occupant notamment des affaires réservées traite des dossiers liés à cette circonscription. Il faut toujours savoir ménager l'avenir.
49. – Remplacement temporaire du parlementaire nommé membre du Gouvernement – L'article 25 de la Constitution, tel qu'il était rédigé entre 1958 et 2008, prévoyait le remplacement du député ou du sénateur par son suppléant (élu concrètement en même temps que le parlementaire) jusqu'au renouvellement général (pour l'Assemblée nationale) ou partiel (pour le Sénat). Les multiples acrobaties, contorsions et péripéties de ministres quittant le Gouvernement et contraignant leur suppléant à démissionner (mais n'arrivant pas parfois à le faire) pour pouvoir se présenter à une élection partielle (quitte à être renommé ministre quelques mois plus tard, voir Nicolas Sarkozy entre 2004 et 2005) ont entraîné, avec la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, une modification de l'article 25 de la Constitution. Maintenant est institué un remplacement temporaire des parlementaires en cas d'acceptation par eux de fonctions gouvernementales et, en application des articles LO 176, 319 et 320 du Code électoral , le membre du Gouvernement retrouve automatiquement son siège au Parlement après l'expiration d'un délai d'un mois.
2) Possibilité de cumul avec le mandat local
50. – Cumul des fonctions gouvernementales et locales – Le Général de Gaulle y avait songé. Il y a malheureusement renoncé. "Quand nous préparions la Constitution, dans l'été 1958, j'avais voulu rendre incompatible la fonction de ministre avec celle de maire (...). Mais les caciques de la IVe République étaient tellement déchaînés sur ce point, et il y avait tellement de choses à leur faire avaler, que je n'ai pas insisté. Il m'arrive de le regretter" (cité par A. Peyrefitte, C'était de Gaulle : Fayard, 1997, t. 2, p. 165)
51. – Dérives – Le cumul des fonctions ministérielles avec celles d'exécutif local (maire, président de conseil général ou régional) contraint l'intéressé (y compris lorsqu'il s'agit du Premier ministre ce qui est encore plus extravagant – voir Jacques Chaban-Delmas, Alain Juppé, Pierre Mauroy et Jacques Chirac respectivement maires de Bordeaux, pour les deux premiers, Lille et Paris) à de multiples chevauchements en termes d'agendas et à d'inévitables compromis entre l'intérêt général et les impératifs locaux. Si l'Évangile enseigne que "Nul ne peut servir deux maîtres à la fois", l'affaire du sang contaminé mit en exergue l'absence de disponibilité du secrétaire d'État à la santé de l'époque, Edmond Hervé, parallèlement maire de Rennes. Comme le rappelèrent justement les réquisitions du ministère public, "à notre époque, être ministre, c'est se consacrer physiquement et intellectuellement à ses fonctions gouvernementales. Ce ne peut être une sorte de temps partiel qui s'ajoute à d'autresresponsabilités locales ou politiques. L'affaire du sang contaminé doit donner le glas de ces cumuls impossibles à assumer entre deux charges, chacune très lourde, et exigeant une totale disponibilité" (J.-F. Burgelin, R. Lucas, Extraits choisis des réquisitions du ministère public : RDP 1999, p. 374).
52. – Échec des tentatives de remises en cause du cumul – Le vœu resta pieux et, à l'instar du cumul des mandats nationaux et locaux, les pesanteurs politiques en faveur du maintien du statu quo furent telles que les rares tentatives d'y mettre fin ont été abandonnées. Impulsée par Lionel Jospin en 1997, poursuivie un temps par Jacques Chirac en 2002, l'interdiction de tout cumul imposée par voie de convention (c'est-à-dire, une contrainte de nature purement politique) n'a pas résisté à la mauvaise volonté évidente des membres du Gouvernement : certains obtenant une dérogation, les autres substituant leurs fonctions avec celles de premier adjoint au maire ou de premier vice-président du conseil général ou régional, en exigeant une délégation totale de compétences.
De son côté, le comité Balladur affirma que "rien ne justifie, qu'un ministre ne se consacre pas exclusivement à sa tâche" (Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République : 2007, p. 29). Las, l'exclusion du cumul ne figura même pas dans le projet de loi constitutionnelle conduisant à la révision du 23 juillet 2008.
53. – Remise de démission du Premier ministre – En application de l'article 8, alinéa 1er de la Constitution, elle entraîne logiquement la fin des fonctions de l'ensemble des membres de l'équipe gouvernementale. Plusieurs cas de figure sont à distinguer.
54. – Démission volontaire et obligatoire en vertu de l'article 50 de la Constitution – Certaines hypothèses sont exceptionnelles : la démission volontaire du chef du Gouvernement. ("Je ne dispose pas des moyens que j'estime nécessaires pour assumer efficacement les fonctions de Premier ministre et, dans ces conditions, j'ai décidé d'y mettre fin". J. Chirac, 1976) ou la démission obligatoire en vertu de l'article 50 de la Constitution ( “Lorsque l'Assemblée nationale adopte une motion de censure ou lorsqu'elle désapprouve le programme ou une déclaration de politique générale du gouvernement, le Premierministre doit remettre au président de la République la démission du Gouvernement”) qui concerna seulement le gouvernement Pompidou I, renversé en octobre 1962.
55. – Démission obligatoire après une élection nationale – Bien plus fréquente, la démission est obligatoire après les élections présidentielles et législatives. Cette convention de la Constitution est, à la fois, la traduction du respect du suffrage universel et le maintien de la tradition des IIIe et IVe Républiques. Selon les configurations politiques, elle peut conduire à la reconduction du Premierministre dans ses fonctions. Cette séquence s'observe tout particulièrement lorsque les élections présidentielles et législatives sont temporellement regroupées (1981, 1988, 2002 et 2007). Le chef du Gouvernement nommé par le Président de la République nouvellement élu (respectivement Mauroy I, Rocard I, Raffarin I et Fillon I) démissionne juste après les élections législatives pour être ensuite reconduit dans ses fonctions (Mauroy II, Rocard II, Raffarin II et Fillon II). En revanche, les membres de l'équipe gouvernementale ne sont pas tous assurés d'être maintenus en fonction (par exemple, Alain Juppé non reconduit dans le gouvernement Fillon II. – J.-E. Gicquel, La démission du Premier ministre après les élections nationales : Rev. adm. 2005, p. 5).
56. – Démission – remaniement ministériel – Il s'agit d'une pratique politique où le Premier ministre remet sa démission au chef de l'État qui le renomme immédiatement à ses fonctions. Ce faisant, une nouvelle équipe gouvernementale (avec de nouvelles têtes et des changements d'affectation) est alors constituée. Entre dans ce cas de figure, la cessation de fonctions des gouvernements Messmer II (1974), Barre I (1977), Mauroy II (1983), Juppé I (1995), Raffarin II (2004) et Fillon II (2010) et la passation de pouvoirs respectivement aux gouvernements Messmer III, Barre II, Mauroy III, Juppé II,Raffarin III et Fillon III.
57. – Démission – révocation – Enfin, reste la possibilité pour le Chef de l'État d'aller au-delà de l'interprétation stricte de l'article 8, alinéa 1er de la Constitution et de contraindre le Premier ministre à lui remettre sa démission. "Il doit être relevé quand le moment est venu" affirmait le Général de Gaulle. L'ancienne pratique de la lettre de démission signée et non datée que le chef du Gouvernement remettait au Président de la République le jour de sa nomination a été remplacée, à partir de 1981, par l'intériorisation profonde par le Premier ministre qu'il avait "le bail le plus précaire de la République" (M. Rocard) et que son maintien en fonctions dépendait (sauf en périodes de cohabitation) de la seule appréciation présidentielle. Finissons en remarquant que contrairement à ce que l'on serait tenté de penser spontanément, cette hypothèse est finalement assez rare (Michel Debré (1962), Jacques Chaban-Delmas (1972), Pierre Mauroy (1984), Michel Rocard (1991), Édith Cresson (1992) et Jean-Pierre Raffarin (2005)).
58. – Démission individuelle d'un membre du Gouvernement – L'article 8, alinéa 2 de la Constitution dispose que le Chef de l'État met fin aux fonctions des ministres sur proposition du Premier ministre. Les périodes de cohabitations mises à part, la proposition est parfois un simple artifice protocolaire (la décision du Chef de l'État étant arrêtée et est imposée à Matignon) mais peut aussi répondre à une véritable volonté du Premier ministre d'écarter tel ou tel membre de son équipe. Tout relevant, in fine, de l'appréciation présidentielle, la proposition peut être rejetée (souhaits vains d'Édith Cresson de resserrer son équipe en 1991 ou d'Alain Juppé d'intégrer des personnalités balladuriennes en 1996).
59. – Raisons de la remise de démission – Après, de multiples causes peuvent entraîner la démission d'un membre du Gouvernement :
la convenance personnelle liée, le plus souvent, à la survenance d'une incompatibilité (la nomination au Conseil constitutionnel : Robert Badinter en 1986 ; l'élection au Sénat : Michel Charasse en 1992 et Louis Le Pensec en 1998) ;
le courage politique de celui qui ne se sent plus solidaire du Gouvernement et qui en tire les conséquences en le quittant (Michel Rocard en 1985, Jean-Pierre Chevènement en 1985, 1991 et 2000) ;
le manque d'à propos politique (Jean-Jacques Servan-Schreiber en 1974 ; Louis Schwartzenberg en 1988 (démissionnés respectivement après 13 et 9 jours) ; Olivier Stirn en 1990 ; Alain Madelin en 1995) ;
le scandale conduisant le ministre à jouer le rôle de fusible afin de protéger le Premier ministre et le Chef de l'État (Charles Hernu en 1985 dans l'affaire du Rainbow Warrior) ;
les indélicatesses en tout genre (Philippe Dechartre en 1972 ; Hervé Gaymard en 2005 ; Alain Joyandet et Christian Blanc en 2010 ; Michèle Alliot-Marie et Georges Tron en 2011).
Une doctrine établie sous Pierre Bérégovoy en 1992 (et dont on peut se demander si elle est toujours en vigueur avec le cas d'André Santini en 2007) établit qu'un membre du Gouvernement mis en examen doit quitter celui-ci (Bernard Tapie, en 1992 ; Alain Carignon, Gérard Longuet, Michel Roussin, en 1994 ; Dominique Strauss-Kahn, en 1999 ; Renaud Donnedieu de Vabres, en 2002 ; Pierre Bédier, en 2004). "La femme de César ne doit pas être soupçonnée".
Pour terminer, la disgrâce d'un ministre peut aussi être dissimulée dans un remaniement où l'intéressé quitte discrètement le Gouvernement en n'étant pas membre de la nouvelle équipe (Jean-François Mattéi, en 2004, après sa gestion de la canicule en 2003 ; Eric Woerth, en 2010, pour son interprétation particulière du conflit d'intérêts).
60. – Dérives de l'irresponsabilité politique – Est-il crédible d'évoquer la "responsabilité" ? Poser cette question, c'est déjà y répondre un peu. La Ve République est surtout marquée par un phénomène d'irresponsabilité des dirigeants publics. L'exemple venant d'en haut, c'est-à-dire du Chef de l'État, le ministre bénéficie de régimes favorables de responsabilité.
a) Une responsabilité politique insuffisante
61. – Faiblesse de la responsabilité politique – Aux côtés de la responsabilité collective du Gouvernement devant l'Assemblée nationale (Const., art. 49) et, en raison de la pratique présidentialiste, devant le Chef de l'État, la responsabilité individuelle du ministre est largement déficiente. Si certains comportements extérieurs à la fonction gouvernementale (une location indue d'appartement de fonctions : Hervé Gaymard, en 2005 ; l'achat de cigares aux frais de la République : Christian Blanc, en 2010) peuvent être identifiés facilement comme des absences de discernement personnel entraînant la démission, les agissements inhérents à la fonction posent davantage d'interrogations.
62. – Caractéristiques de la responsabilité politique – Posées notamment par Pierre Avril (Trois remarques à propos des réquisitions du ministère public dans l'affaire du sang contaminé : RDP 1999, p. 395), elles sont de nature juridico-politiques en ce sens que :
les règles de droit pénal (Nullum crimem et nulla poena sine lege) ne sont pas applicables puisque le comportement reproché au ministre ne peut être, à l'avance, prédéterminé ;
la charge de la preuve appartenant au ministre, c'est à lui de démontrer qu'il a correctement agi ;
il répond des erreurs éventuellement commises par son administration et les membres de son cabinet.
63. – Refus d'endosser la responsabilité politique – En pratique, ces contraintes pesant sur les membres du Gouvernement (et qui ne font que traduire le principe selon lequel celui qui dispose du pouvoir est responsable – "Personne n'est obligé d'être ministre et encore moins de le rester" constatait le Général de Gaulle) se sont progressivement desserrées avec la complicité évidente duPremier ministre et surtout du Chef de l'État. Si le scandale du Rainbow Warrior conduisit encore en 1985 à la démission de Charles Hernu, ministre de la Défense, les dysfonctionnements ultérieurs de l'appareil d'État (le sang contaminé dans les années 1980 ; l'hospitalisation en France d'un terroriste recherché – affaire Habache en 1992 – et la gestion de la canicule en 2003) ont, en revanche, diffusé les poisons de l'irresponsabilité ministérielle.
Georgina Dufoix en affirmant, dans l'affaire du sang contaminé, "Je suis responsable mais non coupable" était dans le faux : elle fut à la fois non-responsable et non-coupable. Or, comme le rappelait le doyen Vedel : "Pour que nos dirigeants politiques puissent se prévaloir de ce qu'ils ne sont pas pénalement coupables, il faudrait qu'ils acceptent les pleines conséquences de leur responsabilité politique. Ils ne peuvent pas gagner sur les deux tableaux".
En réalité, la responsabilité pénale est tellement exigeante (V. infra n° 64 ), qu'elle est inadaptée pour sanctionner les ministres n'ayant commis que des erreurs de jugements ou de mauvaises appréciations dans la manière de traiter tel ou tel dossier. On retrouve ici, en filigrane, toute l'évolution du mécanisme de la responsabilité tel qu'il s'est structuré en Angleterre au XVIIIe siècle : la rigueur et les conséquences terribles de la responsabilité pénale via l'impeachment (avec les décapitations de ministres de Charles Ier, Strafford et Laud en 1641 et 1645 respectivement) ont entraîné irrésistiblement la mise en place d'un autre type de responsabilité assortie d'une sanction plus modérée obligeant celui qui à fauté a seulement quitter le pouvoir.
En France, la responsabilité politique des gouvernants reste encore à construire et la tâche est ardue notamment lorsque les faits sont découverts après l'exercice des fonctions ministérielles. En attendant, diverses mesures pourraient être prises afin d'éviter la réitération des errances administratives identifiées lors du scandale du sang contaminé : le cumul des fonctions ministérielles avec d'autres activités : locales ou partisanes ; la faiblesse du contrôle du ministre sur son ministre délégué et secrétaire d'État ; l'hypertrophie des cabinets ministériels qui édulcorent la réalité au ministre ; la multiplication des réunions interministérielles où le décideur politique n'agit plus. Cependant, l'absence d'une véritable permanence des ministres pendant l'été (responsable pour partie des retards dans le traitement de la canicule de 2003) a été depuis corrigée ; les membres du Gouvernement étant désormais fortement incités à passer leurs vacances d'été en France.
b) Une responsabilité pénale exigeante
64. – Inadaptation de la responsabilité pénale des membres du Gouvernement – En prolongement direct de l'affaire du sang contaminé, une révision de la Constitution en 1993 entraîna la disparition de la Haute cour de justice (et sa procédure totalement inadaptée) et son remplacement par la Cour de justice de la République (V. Fasc. 40). L'article 68-1 de la Constitution dispose, à cet effet, que “Les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. Ils sont jugés par la Cour de justice de la République”.
65. – Cadre juridique – Aux côtés de la Cour pénale internationale, qui est compétente en cas de crimes graves touchant la communauté internationale (Conv. Rome, art. 27. – Const., art. 53-2), une ligne de partage existe avec les juridictions de droit commun qui interviennent "en cas d'absence de tout lien entre les faits poursuivis et la fonction ministérielle" (Cass. crim., 26 juin 1995, n° 95-82.333, Carignon : JurisData n° 1995-002036 ; Bull. crim. 1995, n° 235). Toujours selon la Cour de cassation, "les actes accomplis par un ministre dans l'exercice de ses fonctions sont ceux qui ont un rapport direct avec la conduite des affaires de l'État (...) à l'exclusion des comportements concernant la vie privée ou les mandats électifs locaux" (en ce sens affaires "Carignon", "Noir", "Dumas" et "de Villepin").
En vertu de l'article 68-2 de la Constitution, une commission des requêtes, composée exclusivement de magistrats, après avoir examiné les plaintes déposées par “toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit commis par un membre du Gouvernement dans l'exercice de ses fonctions”, ordonne soit le classement de la procédure, soit sa transmission au procureur général près la Cour de cassation aux fins de saisine de la commission d'instruction qui décide du renvoi de l'affaire devant la Cour de justice de la République. Celle-ci comprend quinze juges : douze parlementaires et trois magistrats du siège à la Cour de cassation. Bref, malgré les précautions prises, on reste au final face à une justice politique.
66. – Mises en application – Depuis 1993, six ministres ont été jugés par la Cour de justice de la République qui a prononcé :
trois relaxes (Georgina Dufoix, Laurent Fabius en 1999 et Ségolène Royal en 2000) ;
trois condamnations (Edmond Hervé en 1999, Michel Gillibert en 2004 et Charles Pasqua en 2010) ;
et deux peines seulement (Edmond Hervé en ayant été dispensé au motif pris qu'il n'avait pas pleinement bénéficié de la présomption d'innocence pendant toute la durée de l'affaire du sang contaminé).
c) La responsabilité comptable
67. – Responsabilité comptable – Le ministre est l'ordonnateur principal en matière financière et budgétaire pour son département (Ord. 14 sept. 1822). S'il n'est pas justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière, il est déclaré comptable de fait en cas d'irrespect de la répartition des fonctions entre l'ordonnateur et le comptable. Le juge des comptes peut alors le condamner à une amende pour immixtion dans les fonctions de comptable public. Voir l'affaire dite "du Carrefour de développement" dans les années 1990 et l'épilogue juridictionnel pour le ministre Christian Nucci (CE, sect., 6 janv. 1995, n° 145898, Nucci : Rec. CE 1995, p. 6. – C. comptes, 25 sept. 1996, Nucci, Chalier et Trillaud et Assoc. Carrefour du développement. – La responsabilité des gouvernants : Pouvoirs 2000, n° 92. – J.-M. Blanquer et O. Beaud, La Responsabilité des gouvernants : Descartes et compagnie, 1999).
II. - Attributions du Gouvernement
68. – Trois aspects sont à étudier : il faut d'abord évoquer les prérogatives exercées individuellement par les ministres (A) puis exercées de manière collective (B). Enfin, les pouvoirs du Premier ministre doivent être abordés (C).
A. - Attributions individuelles du membre du Gouvernement
69. – À titre individuel, le ministre participe à la détermination et à la conduite de la politique de la Nation (1°), dirige un département ministériel (2°) et exerce, sous conditions, le pouvoir réglementaire (3°).
1° Participation à la détermination et à la conduite de la politique de la Nation
70. – Participation à un travail collectif – L'article 20 de la Constitution indique que, “le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation”. Si le Premier ministre “dirige l'action” du Gouvernement(Const., art. 21) sous l'autorité du chef de l'État, chaque ministre est chargé de préparer et de mettre en œuvre de multiples mesures et actions relevant d'un secteur déterminé de la politique nationale. Ses moyens d'action sont divers :
présence dans les instances de coordination interministérielle (V. supra n° 14 à 28 ) ;
préparation par ses bureaux des projets de lois (accompagnés désormais des études d'impact. –Const., art. 39), d'ordonnances et de décrets ;
action politique (interventions publiques, présence dans les médias, etc.)
2° Direction d'un département ministériel
71. – Structure ministérielle – Au quotidien, le ministre (éventuellement assisté de ministre(s) délégué(s) et ou de secrétaire(s) d'État) a pour tâche de diriger un département ministériel aux dimensions variables et qui s'articule autour d'une administration centrale (divisée en directions, sous-directions et bureaux) et de services déconcentrés. Pour ces derniers, la mise en œuvre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) entraîne la disparition d'une logique ministérielle au profit d'une approche interministérielle (au niveau départemental, création des directions départementales interministérielles :D. n° 2009-1484, 3 déc. 2009 : JO 4 déc. 2009).
72. – Présence du cabinet ministériel – Pour ce faire, il est assisté d'une structure politico-administrative spécifique : le cabinet. Le ministre choisit discrétionnairement et met fin aux fonctions de ses collaborateurs directs (le directeur de cabinet, le chef de cabinet, les conseillers techniques et les chargés de missions). Il n'est cependant pas rare que l'Élysée et Matignon, pour les portefeuilles importants, disposent d'un droit de regard, de veto ou de proposition pour le poste de directeur de cabinet.
Cette équipe, composé en moyenne d'une vingtaine de personnes (mais aux membres officiels se rajoutent autant d'officieux) a plusieurs fonctions : aider le ministre dans la prise de décision, assurer l'interface entre l'action politique et les services ministériels et filtrer l'information. Les travers du cabinet dans le processus décisionnel gouvernemental sont bien connus et restent insuffisamment combattus :
effectif pléthorique (le double de celui recensé aux débuts de la Ve République) ;
éloignement entre le ministre et son administration ;
remontée des débats techniques en cabinet démotivant les bureaux (O. Schrameck, L'ordre de la République : les cabinets ministériels : Dalloz, 2006).
73. – Directions et services rattachés au ministre – Le décret d'attributions du ministre énumère les directions et les services rattachés sur lesquels le ministre dispose d'une autorité directe. Par ailleurs, il peut exercer une autorité conjointe avec un autre ministre sur telle ou telle entité (par exemple, la délégation de la sécurité routière soumise à l'autorité conjointe du ministre de l'Intérieur et des Transports). Enfin, en tant que de besoin, il peut aussi faire appel à d'autres directions pour l'exercice de ses prérogatives.
Le ministre est l'autorité hiérarchique ultime pour l'ensemble des fonctionnaires placés sous son autorité dans les services centraux et déconcentrés. Cela implique le pouvoir de commandement et d'annulation ou de reformation des décisions prises par ses subordonnés.
3° Exercice du pouvoir réglementaire
74. – Pouvoir réglementaire du ministre – La gestion quotidienne d'un département ministériel se traduit par l'exercice du pouvoir réglementaire ; c'est-à-dire de la capacité juridique d'imposer des règles, par voie d'arrêtés, ayant une portée soit individuelle soit générale et impersonnelle hors des matières réservées constitutionnellement à la loi.
En principe, le ministre ne dispose pas du pouvoir réglementaire qui est attribué au Premier ministre(Const., art. 21. – sous réserve d'exceptions en faveur du chef de l'État : Const., art. 13) comme l'a toujours imposé et maintenu le Conseil d'État (CE, 23 mai 1969, Sté Distilleries Brabant : Rec. CE 1969, p. 254, concl. N. Questiaux. – pour une illustration récente, CE, 8 févr. 2010, n° 306558, min. Défense :JurisData n° 2010-000407 ).
En pratique, les projets de décrets en Conseil des ministres, en Conseil d'État et simples sont préparés sous l'autorité de tel ou tel ministre avant d'être soumis à la signature de Matignon ou de l'Élysée. Au-delà, sa participation à l'exercice du pouvoir réglementaire s'illustre de plusieurs façons.
a) Contreseing des actes du Chef de l'État et du Premier ministre
75. – Contreseing des actes du Chef de l'État – La Constitution prescrit que les actes du Président de la République (sauf exception, pour les fameux pouvoirs propres) “sont contresignés par le Premierministre et, le cas échéant, par les ministres responsables” (Const., art. 19) tandis que ceux du Premierministre le sont “par les ministres chargés de leur exécution” (Const., art. 22). Selon une jurisprudence bien rôdée, les ministres responsables, visés à l'article 19 de la Constitution, sont ceux "auxquels incombent, à titre principal, la préparation et l'application" des textes signés par le Président (CE, sect., 10 juin 1966, Pelon et a. : Rec. CE 1966, p. 384 ; AJDA 1966, p. 492, concl. J.-M. Galabert) alors que les ministres chargés de l'exécution de l'acte du Premier ministre "sont ceux qui ont compétence pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement l'exécution du décret" (CE, 27 avr. 1962, Sicard : Rec. CE 1962, p. 279 ; AJDA 1962, p. 279, chron. J.-M. Galabert et M. Gentot. – CE, ass., 8 juill. 1994, n° 141301 , Tête : JurisData n° 1994-044439 ; Rec. CE 1994, p. 353 ; AJDA 1994, p. 696, chron. L. Touvet et J.-H. Stahl).
76. – Situation juridique du ministre délégué et du secrétaire d'État – Le secrétaire d'État, placé sous l'autorité d'un ministre par le décret de composition du Gouvernement, n'exerçant ses attributions que par délégation du ministre, n'a pas qualité de ministre au sens de l'article 22 de la Constitution. Le contreseing du ministre suffit et l'absence (ou la présence superfétatoire) de celui du secrétaire d'État est sans effet sur la légalité du décret (CE, ass., 24 juin 1955, Synd. nat. ingénieurs navigation aérienne : Rec. CE 1955, p. 353. – CE, 8 juill. 1988, Union nat. synd. médecins des hôpitaux publics : Rec. CE 1988, p. 281. – CE, 12 juin 1998, Féd. aveugles et handicapés visuels de France, cité supra n° 42 . – CE, 11 juill. 2001, Medef, cité supra n° 42 ). La jurisprudence du Conseil d'État est plus évasive sur la situation des ministres délégués malgré leur forte similitude juridique avec les secrétaires d'État qui sont tous placés (sauf dans l'hypothèse exceptionnelle de ministres délégués et de secrétaires d'État autonomes) sous l'autorité de ministres. Ainsi, "dès lors qu'un ministre est signataire d'un décret, l'absence de contreseing d'un ministre délégué placé auprès de ce ministre ne peut affecter la régularité de ce décret" (CE, 12 févr. 2007, n° 290514 , Entreprises du médicament).
b) Délégation du pouvoir réglementaire du Premier ministre
77. – Délégation du pouvoir réglementaire à un ministre – En application de l'article 21 de la Constitution, le Premier ministre a la capacité de déléguer “certains de ses pouvoirs aux ministres”. Une telle délégation de pouvoirs emporte l'exercice du pouvoir réglementaire.
c) Octroi du pouvoir réglementaire par voie législative
78. – Délégation du pouvoir réglementaire effectuée par la loi – Nonobstant l'article 21 de la Constitution, le Conseil constitutionnel accepte que la loi puisse confier "à une autorité publique autre que le Premier ministre le soin de fixer des normes permettant la mise en œuvre des principes posés par la loi, dès lors que cette habilitation ne concerne que des mesures de portée limitée tant par leur champ d'application que par leur contenu" (Cons. const., 17 janv. 1989, déc. n° 88-248 DC, CSA : Rec.Cons. const. 1989, p. 18). Cette autre "autorité publique" peut notamment être un ministre (V. infran° 97 ).
d) Réglementation de l'organisation interne du département ministériel
79. – Pouvoir réglementaire d'origine jurisprudentielle – Le ministre, en tant que chef de service de son département ministériel est compétent pour réglementer son organisation interne (CE, 7 févr. 1936, Jamart : Rec. CE 1936, p. 172). Les agents statutaires et contractuels sont les premiers visés à travers la réglementation du droit de grève (CE, 7 juill. 1950, Dehaene : Rec. CE 1950, p. 426) ou les modalités d'affectation des fonctionnaires stagiaires (CE, 26 nov. 1997, n° 144556, SNES : JurisData n° 1997-051217 ). Les usagers sont aussi concernés, lorsque le ministre établit la liste des renseignements à fournir à l'appui d'une demande de subvention ou encore fixe des dates limites pour l'accomplissement de certaines obligations.
Finissons par remarquer que le ministre dispose, par le biais des circulaires, d'une marge d'action juridique considérable. Théoriquement, la circulaire n'a pas de portée normative puisqu'elle est censée expliquer, commenter, interpréter la règle de droit fixée par voie législative et décrétale. En pratique, profitant de l'autorité hiérarchique qui s'attache à sa position, le ministre s'accorde des parcelles de pouvoir réglementaire en rajoutant (ou parfois en retranchant) de nouvelles conditions et contraintes aux normes établies par les autorités supérieures et en imposant ensuite leur respect aux fonctionnaires et administrés. Le Conseil d'État, après avoir distingué les circulaires réglementaires des circulaires interprétatives (CE, 29 janv. 1954, Institution Notre-Dame du Kreisker : Rec. CE 1954, p. 64) a depuis articulé son contrôle autour de la présence ou de l'absence de son caractère impératif (CE, sect., 18 déc. 2002, n° 233618, Duvignères : JurisData n° 2002-064827 ; Rec. CE 2002, p. 298).
Le décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008 (JO 10 déc. 2008, p. 18777 ), prescrit qu'une circulaire ou une instruction ne figurant pas sur le site www.circulaires.gouv.fr n'est pas opposable. Les services ne peuvent s'en prévaloir à l'égard des administrés (CE, 23 févr. 2011, n° 334022, GISTI : JurisData n° 2011-002207 ).
B. - Attributions collectives du Gouvernement
80. – Après avoir rappelé que l'action du Gouvernement est dirigée par le Premier ministre (Const., art. 21) sous la tutelle politique du Chef de l'État et que ses moyens sont utilisés au quotidien en son nom par un ministre, le Gouvernement a, en application de l'article 20 de la Constitution pour fonction de déterminer (1°) et de conduire (2°) la politique de la Nation.
1° Détermination de la politique de la Nation
81. – Modalités de la collaboration entre le Chef de l'État et le Premier ministre – Si l'article 20 de la Constitution donne explicitement au Gouvernement la mission de fixer les lignes directrices de la politique nationale, de décider des options fondamentales, la réalité est plus subtile. Dès janvier 1959, on s'aperçut que le chef de l'État n'était pas ce "personnage impartial, qui ne se mêle pas de la conjoncture politique et qui ne doit pas s'en mêler" (C. de Gaulle, Intervention devant le Comité consultatif constitutionnel, 8 août 1958. Documents pour servir à l'histoire de l'élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958 : Doc. fr., t. 2, p. 300) mais qu'il entendait s'affirmer pleinement comme un véritable "capitaine" de l'équipe gouvernementale (V. l'emblématique titre de l'ouvrage de J. Massot, L'arbitre et le capitaine : Flammarion, 1987) reléguant alors le Premier ministre au premier de ses ministres. Une nouvelle division du travail vit le jour : l'Élysée décide et Matignon met en œuvre les choix présidentiels.
Avec plus ou moins de bonheur, les successeurs du Général de Gaulle, forts de leur légitimité populaire (révision constitutionnelle du 6 novembre 1962) vont réussir à s'inscrire dans le sillon de la dérive présidentialiste tracé entre 1958 et 1969. L'évolution est bien connue (tout comme le brutal correctif apporté en périodes de cohabitation) et ne nécessite pas d'être développée si ce n'est pour relever que le comité Balladur avait suggéré, en 2007, de mettre fin à l'ambiguïté textuelle en reformulant à la fois les articles 5 (le Président de la République “définit la politique de la Nation”) et 20 ( “Le Gouvernement conduit la politique de la Nation”) de la Constitution. La proposition est restée à ce stade.
2° Conduite de la politique de la Nation
82. – La Constitution confie d'importantes prérogatives au Gouvernement afin de lui permettre de mener à bien ses missions.
a) Mise à disposition de l'Administration et de la force armée
83. – Administration et force armée – Après avoir relevé que l'article 20 de la Constitution assujettit l'armée au pouvoir civil, la mise à disposition de l'Administration évoque sa soumission au pouvoir politique. En lien direct avec les contraintes de la responsabilité (V. supra n° 61 à 63 ), "le ministre fait écran entre le Parlement et les fonctionnaires" (G. Vedel). L'Administration est censée n'agir qu'à travers le ministre et non par sa propre volonté. Reste que les bureaux (dotés de la compétence technique et surtout de la longévité face à un pouvoir politique éphémère par essence) sont en position de force et le ministre finit insensiblement par devenir leur "prisonnier (et) se plie à leurs méthodes, accepte leur discipline" (B. de Jouvenel, La République des camarades : Grasset, 1914, p. 142). La toute puissance de la direction du Trésor ne relève assurément pas du mythe.
b) Mise à disposition des instruments du parlementarisme rationalisé
84. – Parlementarisme rationalisé – "Gouverner, c'est légiférer" (P. Avril). La loi étant le principal moyen d'expression concrète de la politique du Gouvernement, celui-ci est investi de toute une série de prérogatives dans la conduite du travail parlementaire. Ces instruments de parlementarisme rationalisé facilitent grandement l'adoption des projets de loi. En relèvent notamment :
– la possibilité de donner le dernier mot à l'Assemblée nationale en cas de conflit avec le Sénat (Const., art. 45) ;
– l'engagement de la procédure accélérée permettant la réunion de la commission mixte paritaire après une lecture par chaque assemblée (Const., art. 45) ;
– la police des amendements (Const., art. 40, 41 et 44) ;
– la fixation, pour moitié, de l'ordre du jour des assemblées (Const., art. 48) ainsi que des pouvoirs particuliers lors de l'adoption de la loi de finances (Const., art. 47) et de financement de la sécurité sociale (Const., art. 47-1).
c) Extension de compétences accordée par le Parlement
85. – Ordonnances de l'article 38 de la Constitution – Aux côtés des ordonnances régies par les articles 47, 47-1, 74-1 de la Constitution et celles, encore plus particulières, relevant de l'article 11 et de l'ex article 92, l'article 38 établit le régime commun.
Le Gouvernement, une fois habilité par le Parlement, peut intervenir à la place de ce dernier pour une période déterminée et pour un programme particulier. Le Gouvernement s'apprécie comme une entité impersonnelle en ce sens que, sauf à ce qu'une loi ultérieure en dispose autrement, l'autorisation législative produit effet jusqu'au terme prévu "sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le Gouvernement en fonction à la date de l'entrée en vigueur de la loi d'habilitation diffère de celui en fonction à la date de signature d'une ordonnance" (CE, sect., 5 mai 2006, n° 282352, Schmitt :JurisData n° 2006-070060 ; RFDA 2006, p. 678, concl. R. Kessler ; AJDA 2006, p. 1362, chron. F. Landais et C. Lenica).
Préparées par le Gouvernement, soumises obligatoirement au Conseil d'État, signées par le Chef de l'État (Const., art. 13), les ordonnances ont la capacité juridique d'abroger (et donc aussi de modifier) des lois existantes.
Le recours aux ordonnances, jusqu'ici occasionnel (1960-1990 : 25 lois d'habilitation – 158 ordonnances) tend progressivement à devenir une procédure de droit commun (2002-2007 : 45 lois d'habilitation – 188 ordonnances) reléguant le Parlement à une fonction subalterne dans le processus de production de la norme législative (spécialement A.-M. Le Pourhiet, Les ordonnances. La confusion des pouvoirs en droit public français : LGDJ, 2011).
d) Attributions spécifiques en marge de la gestion quotidienne des affaires de la Nation
86. – Attributions diverses et variées du Gouvernement – Enfin, le Gouvernement dispose d'un ensemble hétéroclite de prérogatives qu'on pourra se contenter d'énumérer brièvement :
l'intérim de la présidence de la République (Const., art. 7) : par une procédure, jusqu'ici inusitée, il peut, d'une part, saisir le Conseil constitutionnel pour faire constater l'empêchement définitif duPrésident de la République (le refus n'étant pas contestable devant le Conseil d'État puisque la procédure se rattache aux rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels et relève donc de la catégorie des actes de gouvernement. – CE, 8 sept. 2005, n° 284937, Hoffer ), et, d'autre part, remplacer l'intérimaire du chef de l'État, le président du Sénat, en cas d'empêchement de ce dernier ;
la proposition de référendum (Const., art. 11). Il lui appartient de proposer au chef de l'État l'organisation d'un référendum ;
la proposition de consultation des électeurs des collectivités d'outre-mer (Const., art. 72-4 et 73). En outre-mer, sur proposition gouvernementale, le Président de la République peut ou doit selon les cas consulter les électeurs des collectivités concernées ;
les pouvoirs de crise. L'état de siège (L. 9 août 1849. – L. 3 avr. 1878. – Const., art. 36) permettant une extension des prérogatives des autorités militaires ; l'état d'urgence (L. 3 avr. 1955) agençant un accroissement des compétences des autorités civiles (préfectorales) sont déclarés par décret en Conseil des ministres. Leur prorogation, au-delà de 12 jours, ne peut être décidée que par une loi. En 2005, l'état d'urgence a été déclaré, pour la première fois sur le territoire métropolitain (D. n° 2005-1386, 8 nov. 2005 : JO 9 nov. 2005, p. 17593 . – L. de prolongation n° 2005-1425, 18 nov. 2005 : 19 nov. 2005, p. 18025) ;
la décision d'engagement de forces armées à l'étranger relève constitutionnellement du Gouvernement (Const., art. 35).
C. - Attributions du Premier ministre
87. – Les principaux intéressés en conviennent, être Premier ministre est "la fonction la plus difficile de la République" (E. Balladur), c'est "une machine à essorer " (M. Rocard). Rien d'étonnant dans ces conditions que seuls deux d'entre eux (Georges Pompidou et Jacques Chirac) aient réussi à devenir plus tard Président de la République. Nombre d'ambitions (Jacques Chaban-Delmas, Laurent Fabius, Michel Rocard, Édouard Balladur, Lionel Jospin) se sont brisées après le passage à Matignon.
La place particulière du Premier ministre au sein des institutions (1°) explique à la fois son omniprésence juridique (2°) et politique (3°).
1° Place du Premier ministre au sein des institutions
88. – Entrée en fonction du Premier ministre – À partir de 1966, il est établi que le Gouvernement existe juridiquement dès qu'il a été nommé par le Chef de l'État ; l'engagement de la responsabilité du Gouvernement sur son programme (Const., art. 49-1) est une faculté à la discrétion du Premier ministre et ne constitue en rien une obligation. La procédure d'investiture des IIIe et IVe Républiques n'est plus.
Par ailleurs, le Président de la République, sur le fondement de l'article 5 de la Constitution, peut prendre les dispositions nécessaires pour assurer la continuité de l'action gouvernementale et notamment charger un ministre de l'intérim du Premier ministre. Le décret entre immédiatement en vigueur sans attendre sa publication au Journal officiel (Cons. const., 29 déc. 1989, déc. n° 89-268 DC ,Loi de finances pour 1990 : Rec. Cons. const. 1989, p. 110).
Les décrets de nomination et de fin de fonctions du Premier ministre ou d'un ministre sont insusceptibles de tout recours contentieux (CE, 15 févr. 2002, n° 231632, Meyet . – V. aussi CE, 29 déc. 1999, n° 196858, Lemaire : JurisData n° 1999-051626 ).
a) Répartition globale des fonctions avec le Président de la République
89. – Variations du couple de l'Exécutif – Dans une vision macro, le partage des tâches entre le Chef de l'État et le Premier ministre s'établit, en période présidentialiste, comme suit.
Le premier répond du long terme, de l'intérêt supérieur de la Nation. Les options fondamentales sont arrêtées à l'Élysée. Le capitaine (J. Massot) fixe le cap. L'autre répond du court terme "sans trêve ni ménagement" (C. de Gaulle). Il a pour tâche première de mettre en œuvre les orientations du chef de l'État, d'inscrire son action dans le "sillon" (F. Mitterrand) tracé par celui-ci. Ses moyens juridiques, son autorité administrative sont concrètement à la disposition de l'Élysée. Le Général de Gaulle, s'adressant à son porte-parole, Alain Peyrefitte, résume parfaitement la situation : "N'employez donc pas l'expression chef du Gouvernement pour parler du Premier ministre. Le chef du Gouvernement, c'est moi" (A. Peyrefitte, C'était de Gaulle : Fayard, 1994, t. 1, p. 117).
La cohabitation met fin à ce déséquilibre institutionnel et, hormis le domaine de la politique extérieure et militaire, le chef de l'État se retrouve, à l'égard des mesures décidées par le Premier ministre, placé devant le fait accompli (les privatisations en 1986, les 35 heures en 1998, pour ne citer que les cas les plus emblématiques).
La réalité est plus subtile et à la question "Ce que fait Matignon ?", Guy Carcassonne répond "Tout. Et ce qui ne se fait pas à Matignon, au minimum, y passe" (Pouvoirs 1994, n° 68, p. 31).
b) Répartition en pratique des fonctions avec le Président de la République au quotidien
90. – Il est réducteur de voir dans le Premier ministre un simple subalterne du chef de l'État cantonné seulement à l'exécution de ses desideratas. À de rares exceptions près (Maurice Couve de Murville, Pierre Messmer, Jean-Pierre Raffarin, notamment), il est, ou devient en cours de fonctions, une figure politique de premier plan qui peut, au service de ses propres ambitions personnelles (devenir plus tardPrésident de la République) s'affirmer face à un chef de l'État affaibli politiquement (le Général de Gaulle, pendant la crise de mai 1968) ou physiquement (Jacques Chirac, 2005-2007) ; profiter de son désintérêt de la politique intérieure (François Mitterrand, 1988-1991) ou imposer son tempo aux mesures décidées par l'Élysée (la réforme de la participation de 1967). De même, s'il est loisible au Président de la République de mettre fin, à tout moment, à ses fonctions, la difficulté pratique de pourvoir à son remplacement (avec une liste de prétendants crédibles généralement très réduite) contribue au renforcement de son assise (par exemple, François Fillon en 2010 depuis l'hypothèse Jean-Louis Borloo écartée).
Bref, tant que le Rubicon n'est pas franchi (s'opposer brutalement au Chef de l'État en s'appuyant sur la majorité parlementaire – précédent de Jacques Chaban-Delmas en 1972) des relations variées sont perceptibles : acrimonieuses (François Mitterrand et Michel Rocard, 1988-1991), respectueuses (François Mitterrand et Pierre Mauroy, 1981-1984) ; complices (Jacques Chirac et Alain Juppé, 1995-1997) et distantes (Nicolas Sarkozy et François Fillon, 2007-2012).
91. – Dialogue au sein de l'Exécutif dans les affaires intérieures – Si pendant les cohabitations, lePremier ministre arrête les options fondamentales engageant la politique de la Nation, son rôle s'avère aussi décisif en période présidentialiste. Mutatis mutandis, les relations entre l'Élysée et Matignon s'articulent autour des règles de comportement suivantes :
sur la plupart des dossiers, le Premier ministre tranche quotidiennement un nombre conséquent de différends techniques ou budgétaires opposant les ministres et, au sens littéral du terme, décide. Jean-Pierre Raffarin le confiera : "la force de Matignon est sa capacité de décision. Jour et nuit, tout événement, tout projet peut être analysé avec compétence et lucidité". L'Élysée est ici seulement tenu informé et, sauf cas particuliers, le ministre pour lequel l'arbitrage ne lui a pas été favorable ne dispose pas d'un droit d'appel devant le Chef de l'État qui s'en remet donc à la position du Premier ministre ;
pour d'autres dossiers (dont la liste et le contenu dépendent d'une appréciation purement politique) l'Élysée est consulté en amont avant toute prise de décision essentielle puis pendant le processus législatif sur les amendements décisifs ;
enfin, sur n'importe quel sujet, le Président de la République dispose d'un droit d'évocation. L'affaire jusqu'ici gérée par Matignon remonte à l'Élysée qui s'empare du dossier et tranche (comme la suppression de publicité sur les chaînes de l'audiovisuel public, en 2009). Ici, l'Élysée décide et Matignon met en œuvre. On pensera ici tout particulièrement à la figure du Chef d'État-bâtisseur décidé à laisser son empreinte dans l'urbanisme parisien (Centre Beaubourg, Opéra Bastille, Pyramide du Louvre, Très Grande Bibliothèque, Musée des arts premiers).
92. – Dialogue au sein de l'Exécutif dans les affaires extérieures – Dans la ligne tracée par le Général de Gaulle rappelé au pouvoir pour régler la crise algérienne, la politique extérieure (le fameux "domaine réservé") reste de l'apanage exclusif du Chef de l'État. Les décisions de politique étrangère ou militaire sont arrêtées par l'Élysée nonobstant les prérogatives attribuées au Premier ministre (“responsable de la défense nationale”, Const., art. 21) ou au Gouvernement qui prend la “décision de faire intervenir les forces armées à l'étranger” (Const., art. 35). Citons, à titre d'illustrations récentes, l'envoi de troupes en Irak en 1990 (puis le refus, en 2003) et les opérations extérieures notamment en Côte d'Ivoire et en Afghanistan (qui doivent désormais recueillir l'autorisation du Parlement au-delà de quatre mois : Const., art. 35).
Il n'en reste pas moins que le Premier ministre est nécessairement impliqué puisque toute décision présidentielle implique une mise en œuvre budgétaire (en liaison avec le ministre de l'Économie et des Finances) et parfois l'adoption de textes législatifs (loi de programmation militaire). Par ailleurs, son influence est plus nette dans le domaine européen (qui concerne de nombreux domaines de politique intérieure). Ici, la coordination technique transite par Matignon, via le secrétariat général aux affaires européennes (V. supra n° 19 . – B. Chantebout, Le président de la République, chef des armées, in Mélanges Pactet : Dalloz, 2003. – J. Massot, Le chef de l'État, chef des armées : LGDJ, 2011).
93. – Compte tenu de la multitude de prérogatives relevant du Premier ministre, on comprend que son choix soit "la première des responsabilités du Président de la République" (V. Giscard d'Estaing).
À la lecture du texte constitutionnel, on serait tenté de relativiser cette affirmation : tandis que lePrésident de la République est cité à trente et une reprises, le Premier ministre n'est mentionné que dans seize cas. En réalité, le chef du Gouvernement est un acteur incontournable en raison de son action directe (a), indirecte (b) et de son rôle de soutien des décisions présidentielles (c).
94. – Puissance administrative de Matignon – Au niveau administratif, le Premier ministre s'appuie sur des services administratifs imposants (plus de 5 000 fonctionnaires dépendent directement ou indirectement de Matignon), des organismes de coordination interministérielle (SGG et SGAE), des conseils variés (notamment le conseil d'analyse économique, le conseil d'analyse de la société. – V. supra n° 21 ).
Par ailleurs, sous la supervision finale du Chef de l'État, il est “responsable de la défense nationale”(Const., art. 21) et dirige l'action du Gouvernement “en matière de sécurité nationale” (C. défense, art. L. 1131-1 ). À ce double titre, son cabinet civil est doublé par un cabinet militaire et il est assisté du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Enfin, il peut exercer son autorité sur des ministres délégués et – ou secrétaires d'État et sur l'ensemble des membres du Gouvernement via ses circulaires (par exemple, celle "relative à la méthode de travail du gouvernement" signée le 25 mai 1988 par Michel Rocard qui reconnaissait toutefois qu'"il n'est pas d'usage qu'un Premier ministre s'adresse aux membres de son Gouvernement sous la forme que j'ai choisie ici"). Indépendamment de tous ces moyens, il dispose d'instruments juridiques variés.
1) Dans la procédure législative
95. – Relations du Premier ministre avec le Parlement dans ses fonctions législatives – À cet égard, il dispose de l'initiative législative (Const., art. 39) se matérialisant par la signature d'un décret de présentation au Parlement d'un projet de loi ; il propose au Chef de l'État la tenue d'une session extraordinaire (Const., art. 29) et, en cas de désaccord entre les deux assemblées peut convoquer une commission mixte paritaire chargée de trouver un texte de compromis (Const., art. 45).
2) Dans la mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement
96. – Relations du Premier ministre avec le Parlement dans ses fonctions de contrôle – À l'instar de l'effort de rationalisation engagé dans la Constitution du 27 octobre 1946 , seul le Premier ministre peut engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale (Const., art. 49-1) et sur un texte (Const., art. 49-3). S'il lui est aussi loisible de demander au Sénat l'approbation d'une déclaration de politique générale (Const., art. 49-4), la responsabilité du Gouvernement n'est pas ici engagée.
Cependant, étant donné qu'une délibération en Conseil des ministres est obligatoire, le Chef de l'État peut dissuader son Premier ministre de recourir à l'article 49-1 de la Constitution (Georges Pompidou, en 1962 puis en 1966 ; Dominique de Villepin, en 2006) ou lui demander d'être plus parcimonieux dans l'utilisation de l'article 49-3 (Michel Rocard, en 1990).
3) Dans l'exercice du pouvoir réglementaire
97. – Pouvoir réglementaire du Premier ministre – Le Premier ministre est l'autorité de droit commun pour l'exercice du pouvoir réglementaire et l'article 21 de la Constitution dispose, à cet effet, que “sous réserve des dispositions de l'article 13, il exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils et militaires”. Ce pouvoir de nomination est des plus résiduels, compte tenu de l'étendue des prérogatives du Chef de l'État en application combinée de l'article 13 de la Constitution, de l'ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 et du décret n° 59-587 du 29 avril 1959. La délégation de pouvoir au profit duPremier ministre (juridiquement possible en application de l'article 3 de ladite ordonnance) a été marginalement sollicitée. L'usage établi par le Général de Gaulle (qui voyait dans cette nomination un élément de responsabilisation du fonctionnaire) a été maintenu par ses successeurs.
En sus de son pouvoir réglementaire d'application des lois ( “il assure l'exécution des lois” : Const., art. 21), il dispose d'un pouvoir réglementaire (résiduel) autonome (Const., art. 37). À ce titre, il peut solliciter des pouvoirs de police générale à portée nationale justifiés par les nécessités de l'ordre public(CE, 8 août 1919, Labonne : Rec. CE 1919, p. 737 ; GAJA, n° 37. – CE, 4 juin 1975, Bouvet de la Maisonneuve : Rec. CE 1975, p. 330. – CE, 17 déc. 1975, n° 98574 , Millet : RDP 1976, p. 1086, note G. Morange. – CE, sect., 22 déc. 1978, Union ch. syndicales d'affichage : Rec. CE 1978, p. 530 ; Dr. adm. 1979, comm. 29, chron. P. Delvolvé. – CE, 22 janv. 1982, n° 20758, Assoc. Auto Défense : Dr. adm. 1982, comm. 66, note B. Pacteau. – CE, 19 mars 2007, n° 300467, Conféd . ch. syndicales débitants de tabac de France : JurisData n° 2007-071624 ).
Le Premier ministre, selon les cas fixés par la Constitution (Const., art. 37, al. 2) et surtout par les lois doit consulter le Conseil d'État (décret "en Conseil d'État" qui ne peut être modifié que par un décret de même nature. – CE, ass., 3 juill. 1998, n° 177248, Synd. nat . env. CFDT : JurisData n° 1998-050772 ; Rec. CE 1998, p. 272) ; peut, même si c'est rare en pratique, spontanément s'adresser à lui (décret "pris après avis du Conseil d'État") ou signer directement (décret qualifié de simple). La catégorie des décrets en Conseil d'État concerne entre 40 et 50 % des décrets signés par an et renforce incontestablement leur solidité juridique (D. Labetoulle, La place du décret en Conseil d'État dans l'exercice du pouvoir gouvernemental, in Mélanges Costa : Dalloz, 2011, p. 353).
Enfin, le Conseil constitutionnel accepte que la loi puisse confier "à une autorité publique autre que lePremier ministre le soin de fixer des normes permettant la mise en œuvre des principes posés par la loi, dès lors que cette habilitation ne concerne que des mesures de portée limitée tant par leur champ d'application que par leur contenu" (Cons. const., 17 janv. 1989, déc. n° 88-248 DC, CSA , citée supran° 78 ). Cette autre "autorité publique" peut être un ministre, un établissement public, une autorité administrative indépendante ou une collectivité territoriale. Cependant la loi n'est pas autorisée à subordonner à l'avis conforme d'une telle autorité l'exercice, par le Premier ministre, de son pouvoir réglementaire (Cons. const., 14 déc. 2006, déc. n° 2006-544 DC , Loi de financement pour la sécurité sociale pour 2007 : Rec. Cons. const. 2006, p. 129).
98. – Protection des compétences réglementaires du Premier ministre – Si le Premier ministre est bien l'autorité de droit commun dans l'exercice du pouvoir réglementaire national (95 % des 1 500 décrets publiés en moyenne par an sont signés par lui), des intrusions présidentielles sont visibles à travers la possibilité pour le Chef de l'État de signer des décrets en Conseil des ministres, "alors même qu'aucun texte n'imposait cette délibération" (CE, ass., 10 sept. 1992, Meyet : Rec. CE 1992, p. 327, concl. R. Kessler) et même en dehors du Conseil des ministres. Dans cette dernière hypothèse, ledit décret peut ultérieurement être modifié par le Premier ministre puisque la signature présidentielle est jugée surabondante (CE, 27 avr. 1962, Sicard : Rec. CE 1962, p. 279).
Par ailleurs, le Premier ministre a une mission de protection du domaine réglementaire à l'égard des incursions législatives. Grâce à l'article 41 de la Constitution (même si constitutionnellement la compétence appartient au Gouvernement), il peut s'opposer à la discussion d'une proposition de loi (ou d'un amendement) au motif pris que celle-ci ou celui-ci empiète sur le domaine réglementaire. En cas de différend avec le président de l'assemblée concernée, celui-ci est tranché par le Conseil constitutionnel qui dispose d'un délai de huit jours pour statuer (cette procédure est marginalement sollicitée). La pratique des premières années de la Ve République avait mis en exergue la possibilité, pour le chef du Gouvernement, de recourir à l'article 61 de la Constitution afin d'obtenir, de la part du Conseil constitutionnel, l'invalidation d'une disposition législative relevant du domaine réglementaire. Cette voie est supprimée depuis la décision du Conseil constitutionnel (Cons. const., 30 juill. 1982, déc. n° 82-143 DC, Blocage des prix et des revenus : Rec. Cons. const. 1982, p. 57) au motif pris que "la Constitution n'a pas entendu frapper d'inconstitutionnalité une disposition de nature réglementaire contenue dans une loi".
Enfin, pour les lois postérieures à 1958, le Premier ministre, en application de l'article 37, alinéa 2 de la Constitution, peut demander au Conseil constitutionnel, la délégalisation (ou déclassification) d'une disposition législative. Une fois celle-ci délégalisée, sa modification par voie réglementaire est possible.
4) Dans ses rapports avec le Conseil constitutionnel
99. – Premier ministre et Conseil constitutionnel – Si le Premier ministre n'est pas une autorité de nomination des membres du Conseil constitutionnel, il dispose, outre la procédure de délégalisation (V. supra n° 98 ) de la possibilité de saisir le Conseil (pour le traité : Const., art. 54 et la loi ordinaire :Const., art. 61) et de l'obligation à l'égard d'une loi organique (Const., art. 46 et 61).
b) Action relayée par le Gouvernement
100. – Un Premier ministre dirigeant l'action du Gouvernement – Le Premier ministre est implicitement présent dans tous les articles de la Constitution mentionnant les attributions collectives du Gouvernement (V. supra n° 80 à 86 ). S'il n'est pas considéré comme le supérieur hiérarchique des ministres (CE, 12 nov. 1965, Cie marchande Tunisie : AJDA 1966, p. 997, concl. N. Questiaux) il a pour fonction de diriger "l'action" du Gouvernement (Const., art. 21).
Cette tâche se traduit de façons suivantes.
Un rôle de coordination de l'action gouvernementale, qui se traduit par la nécessité de trancher de multiples litiges politiques, techniques et budgétaires. Il arbitre au sens littéral du terme. C'est ici que se trouve le cœur de la puissance de Matignon.
Le nombre important de départements ministériels rend épuisante cette mission de coordination. Les probabilités de querelle augmentent et, ensuite, les ministres, compte tenu de la répartition des compétences, peuvent rarement décider seuls. L'accord d'un ou de plusieurs collègues s'avérant indispensable, les interventions de Matignon deviennent incessantes. En revanche, l'interférence présidentielle (Jacques Chirac admonestant son ministre de l'Économie – Nicolas Sarkozy – ("J'ordonne. Il exécute", 2004) en litige avec son homologue de la Défense) fragilise la posture du Premier ministre contraint, pour un retour à la sérénité, d'en appeler à l'Élysée.
C'est sous son autorité que le ministre chargé des finances prépare les projets de loi de finances (L. org. n° 2001-692, art. 38). Après la lettre de cadrage engageant le travail de préparation budgétaire, la lettre-plafond fixe, en avril, le plafond des crédits et des emplois pour chaque ministère.
Ne porte pas atteinte à cette tâche la règle selon laquelle le président d'une commission parlementaire peut solliciter directement l'audition d'un membre du Gouvernement sans transiter par Matignon (Cons. const., 10 mars 1994, déc. n° 94-338 DC , Règlement de l'Assemblée nationale : Rec. Cons. const. 1994, p. 71).
c) Action de soutien du Chef de l'État
101. – Un Premier ministre soutenant l'action du Chef de l'État – En logique présidentialiste, lePremier ministre doit soutenir inconditionnellement l'action du Président de la République et les coups de canifs à cet engagement sont rares. Le "lui c'est lui ; moi c'est moi" suivi de "Je suis troublé" (par la venue du Général Jaruzelski en France en 1985) de Laurent Fabius s'éloignent des canons de la Ve République que l'on retrouve à travers les postures de Jean-Pierre Raffarin : "La loyauté, c'est mon honneur" ou de François Fillon : "J'ai été loyal au Président de la République, je suis loyal au Présidentde la République et je serai loyal au Président de la République".
1) Contreseing des actes du Chef de l'État
102. – Contreseing des actes présidentiels – Sauf exceptions limitées, l'article 19 de la Constitution dispose que les actes du Chef de l'État ne peuvent entrer en vigueur sans contreseing du Premierministre et, le cas échéant, par les ministres responsables (V. supra n° 75 ). Si le chef du Gouvernement n'est pas en capacité de refuser son contreseing (qui se conçoit, aux yeux du président comme un dû), l'analyse est différente en période de cohabitation où une négociation est envisageable. Les contreseings nécessaires sont recueillis matériellement par le secrétariat général du gouvernement (V. supra n° 18 ).
103. – En cas d'utilisation des articles 12 et 16 de la Constitution, le Premier ministre doit obligatoirement être consulté par le Chef de l'État. En pratique, il s'agit plus d'une information que d'une véritable demande d'avis. Parfois, comme en 1968 et 1997, l'impulsion politique provient du chef du Gouvernement qui convainc le président de l'utilité de la dissolution.
Il incombe au Premier ministre de proposer au Chef de l'État une révision de la Constitution (Const., art. 89), la nomination et la révocation de ministres (Const., art. 8) et la tenue d'une session extraordinaire (Const., art. 29).
Enfin, le Premier ministre peut être appelé à suppléer le Chef de l'État (Const., art. 21) et à présider le Conseil des ministres en vertu d'une délégation expresse et sur un ordre du jour déterminé (V. supran° 23 ).
104. – Le Premier ministre, un acteur politique – Avant Matignon ou grâce à Matignon, le Premierministre est une personnalité politique de grande envergure qui, sauf exceptions, aspire à terme à occuper l'Élysée, soit en se présentant à la première élection présidentielle possible (Georges Pompidou, en 1969 ; Jacques Chaban-Delmas, en 1974 ; Jacques Chirac, en 1988 ; Édouard Balladur, en 1995 et Lionel Jospin, en 2002) soit, afin de préparer et consolider son avenir, de diriger un parti puissant. Ici les essais furent moins concluants avec l'échec de Laurent Fabius en 1988 et la victoire à la Pyrrhus de Michel Rocard en 1993, contraint au départ dès 1994. Dans tous les cas, il est nécessairement conduit à entretenir des relations spécifiques avec la majorité parlementaire (a), dans les médias et auprès de l'opinion publique (b).
a) Dans les relations avec la majorité parlementaire
105. – Relations du Premier ministre avec les parlementaires – Du fait d'avoir été désigné par le Chef de l'État (Const., art. 8), le Premier ministre assume, de facto, une fonction de direction de la majorité parlementaire qui a vocation, à l'Assemblée nationale, à soutenir l'action gouvernementale. La figure des "députés-godillots" appartenant au passé, la gestion à la hussarde de la majorité est périlleuse (voir les heurts et déboires d'Alain Juppé et Dominique de Villepin) et il faut aussi savoir écouter, convaincre, cajoler les élus et parfois même reculer.
Le Premier ministre est paradoxalement peu présent physiquement au Parlement. Principalement, il se déplace pour les deux séances par semaine de questions au Gouvernement à l'Assemblée nationale ; pour la présentation, au stade de la discussion générale, d'un projet de loi important (Raymond Barre, en 1979, rajoutant, en quittant l'hémicycle un "Je vais travailler" tout à fait significatif du peu de cas qu'il faisait de sa présence devant les élus) et lors de l'engagement de la responsabilité du Gouvernement(Const., art. 49-1 et 49-3). Au quotidien, il est déchargé de cette fonction d'animation et de coordination de la majorité parlementaire par le ministre (ou le secrétaire d'État) chargé des relations avec le Parlement. Celui-ci a pour rôle capital de fixer, en son nom et pour moitié, l'ordre du jour des assemblées (Const., art. 48) ou de convoquer la commission mixte paritaire (Const., art. 45).
b) Dans les médias et auprès de l'opinion publique
106. – Relations du Premier ministre avec les médias – La surexposition médiatique de Nicolas Sarkozy entre 2007 et 2012 est atypique dans une perspective de long terme. Jusqu'ici, l'intervention présidentielle restait parcimonieuse et hormis quelques rares interviews, se matérialisait essentiellement par l'allocution du 14 juillet et la cérémonie des vœux de la nouvelle année. Dit autrement, tandis que le Chef de l'État cultivait le retrait, le Premier ministre incarnait et relayait l'action gouvernementale périodiquement dans les médias :
soit, directement (à travers des interviews à la presse écrite et aux journaux télévisés de 20 heures, des participations à des émissions politiques parfois sur mesure – le "Parlons France" mensuel réservé à Laurent Fabius –) ;
soit, indirectement grâce au Service d'information du Gouvernement (SIG) et à son propre service de presse qui s'apparent à de véritables instruments de propagande.
Personnifiant le Gouvernement dans son intégralité, le Premier ministre est en contact permanent avec les Français à l'occasion de voyages, inaugurations et audiences accordées à tel ou tel mouvement, à tel ou tel groupe d'intérêt. Si certains ministres arrivent à se différencier, car disposant d'une surface médiatique autonome (Jack Lang, sous François Mitterrand ; Nicolas Sarkozy, entre 2002 et 2007), l'image positive ou négative du chef du Gouvernement affecte l'ensemble de son équipe. Fonction résolument ingrate, le Premier ministre, en endossant la responsabilité de mesures impopulaires, assure, en période présidentialiste, une fonction de fusible protégeant le Chef de l'État du mécontentement populaire. Tel un jeu de duettistes, ce dernier peut même feindre de découvrir les décisions arrêtées par Matignon voire de les désavouer ouvertement (François Mitterrand, entre 1988 et 1991 ; Jacques Chirac, entre 2002 et 2007). Mais, à force de s'user et de s'émousser, ce Premierministre qui "dure et endure" (C. de Gaulle) finit, un jour, par entraîner le Président de la République dans les turbulences de l'impopularité. Le changement de tête est alors inéluctable (Pierre Mauroy, en 1984 ; Édith Cresson, en 1992 ; Jean-Pierre Raffarin, en 2005). Conséquemment, la situation dans laquelle un Président de la République se retrouve structurellement plus impopulaire que son chef de Gouvernement est inhabituelle. Tel fut pourtant le cas entre 2007 et 2012, signe supplémentaire que la présidence Sarkozy fut extraordinaire au sens littéral du terme et déforme la vision que l'on peut avoir de la place et du rôle d'un Gouvernement sous les institutions de la Ve République.
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